Dans un paysage idyllique et qu’on voudrait habité par le silence, paysage qui évoque les photographies d’Elia Kahvedjian, un homme marche sous le soleil, à flanc de coteaux, au milieu des pierres, sur les chemins, à travers les oliveraies. Tenant contre sa hanche un sac de ciment ou de chaux éventré, il laisse couler la poudre blanche le long de sa jambe droite, quasi négligemment. Sa déambulation laisse ainsi une trace au sol, une ligne blanche ténue, ondulante, fragile, que le vent disperse. Mieux vaut avoir manqué les premières secondes de la vidéo et croire pendant un instant assister à une performance de ‘land art’, à un émule de Richard Long.
Mieux le vaudrait, certes, car on ne peut ignorer à l’arrière-plan, ici ou là, un ballet bruyant de bulldozers, de pelleteuses, de camions, des géomètres au travail : construction ou destruction ? On ne peut ignorer non plus des formes qui apparaissent soudain dans le champ de vision, contrastant avec les lignes courbes du paysage et les volumes harmonieux des habitations indigènes, des formes dures, géométriques, anguleuses, répétitives, Lego-ïstes, qu’on discerne au loin sur des éminences dominant le pays. Ce ne sont point, hélas, des villages Kaufman & Broad.
Le sac de ciment, anti-tonneau des Danaïdes, semble inépuisable, l’homme marche sans répit, trace son chemin. Plans rapprochés et plans larges alternent dans le montage du film. L’homme, d’abord solitaire, rencontre des enfants qui l’observent, il traverse un terrain de football improvisé, sa ligne séparant les deux équipes. Plus tard, des adultes l’apostrophent, inquiets, méfiants (à juste titre), tentant dérisoirement d’effacer la ligne blanche du pied; enfin, trois paysans l’arrêtent, l’empêchent de continuer sur leur terre, jettent son sac.
L’image suivante est une carte : en haut une ligne verte, la ligne verte. En dessous, à l’intérieur des terres, on voit la ligne blanche se dessiner à l’écran : la légende indique alors que c’est le tracé du futur mur de séparation que les Israéliens édifient à l’intérieur de la Palestine occupée, ici autour du village de Wallajeh, en face de la colonie de Har Gilo.
Ce que j’ai aimé dans ce travail de Laurent Mareschal, White Line, c’est non seulement sa dimension performative, simple et puissante, mais aussi, comme dirait Rancière à propos de WB de Sophie Ristelhueber, le déplacement de l’affect vers la curiosité: ce travail ne joue pas sur notre indignation, mais il nous intrigue, notre esprit en est affuté. Nous ne savons pas par avance ce que nous voyons, et donc notre pensée est ouverte. L’image nous tient en suspens.
Cette vidéo est montrée (jusqu’au 25 avril) dans la galerie Hagalleria, que je viens de découvrir : les galeristes, qui ont vécu en Israël, exposent avec courage des artistes israéliens ou des artistes intéressés par cette région du monde.
Si la bétonnière broyant des figues de barbarie en plâtre (Spin) m’a paru un peu trop évidemment symbolique, les deux autres pièces de Laurent Mareschal plaisent par leur dépouillement. ’Blind Test’ présente des images blanc sur blanc, minimales, de dispositifs de surveillance furtifs, radars, miradors, caméras, à peine discernables. ‘White Noise’ est une pièce sonore qui apporte la pureté, l’absolu, la dissolution de tous les bruits dans un vide éthéré, hors de ce monde : est-ce ce à quoi il faut aspirer ?
Photos courtoisie de la galerie et de l’artiste.