Malentendu

Par Jmlire

" Les écrivains ont beau ne pas chercher à instruire, on en vient pas moins chercher auprès d'eux des enseignements. C'est qu'ils échauffent avec des mots et que ces mots contiennent, malgré tout, des idées. Qu'il le veuille ou non, l'écrivain, aujourd'hui, est immédiatement classé : par les critiques, par les lecteurs, par ceux là même qui ne l'ont pas lu, et classé en vertu des instructions qu'on trouve chez lui ou qu'on croit y trouver. Il lui arrive même d'être classé simultanément dans toute espèce de catégories contradictoires : ce qui peut le rassurer, lui, mais contribue à compliquer le malentendu. Le même écrivain peut tout à la fois, par exemple, passer pour communiste et catholique. Ses personnages sont des humbles, par exemple, un mot qu'il déteste : volà qui suffit, il est communiste. Son style est jugé révolutionnaire : de là à faire passer l'auteur lui-même pour révolutionnaire, le pas est vite franchi. Mais, en même temps, la docilité aux choses dont il fait preuve ( c'est la formule ), ou encore son sens du mystère, un certain besoin d'absolu et d'universel qu'on découvre également chez lui l'auront fait adopter par certains catholiques, à son grand étonnement...

Illustration : http://www.d3savoirs.com

J'ai mis beaucoup de temps à voir qu'être seul est un grand luxe, que c'est un luxe qui se paye cher, et qui s'est toujours payé cher, mais qui va se payer toujours plus cher. Un luxe d'autant plus coûteux que c'est un luxe qui s'est imposé à l'auteur. Car, s'il ne se rallie pas, ce n'est nullement par mauvaise volonté, comme on pourrait souvent le croire ; c'est qu'il est entouré de gens qui savent et que lui sait qu'il ne sait rien. Il est placé parmi des gens qui affirment et, lui, interroge ; et ils affirment d'après Quelqu'un ( avec une majuscule ) ou quelqu'un, et lui n'interroge d'après personne, car on n'interroge que d'après soi-même. Il n'est nullement ce qu'on appelle un sceptique ; il éspère bien savoir une fois, il constate seulement que pour l'instant il ne sait pas.Mais il constate, en même temps, que l'interrogation n'intéresse personne ; que ce dont tout le monde est avide aujourd'hui, c'est de réponses, non de questions ; et que, quand on n'a pas de réponses à fournir, on n'a sans doute qu'à se taire. "
C.F. Ramuz : " La pensée remonte les fleuves " Terre humaine, Plon, 1979