Il est temps de revenir sur les élections législatives israéliennes, qui se sont tenues le 10 février 2009. Plusieurs enseignements peuvent désormais en être tirés. Alors que les sondages prévoyaient un raz-de-marée pour le Likoud, le centre-droit de Kadima a coiffé le grand parti de droite conservatrice sur le poteau, d'un seul petit siège. On dit merci, Gaza ! Mais par l'une de ces étrangetés qui caractérisent un système électoral à la proportionnelle intégrale, c'est finalement Benyamin Netanyahu qui est assuré de devenir le prochain Premier Ministre, en vertu de la configuration des forces politiques sorties des urnes. Les différentes familles de la droite et de l'extrême droite ont en effet réalisé une telle poussée qu'elles détiennent à elles seules la majorité absolue des sièges à la Knesset. Mais cet avantage électoral stratégique pour le Likoud pourrait bien s'avérer ingérable sur le plan politique, à cause précisément de l'attelage hétéroclite constitué par ses divers alliés d'extrême droite. Entre les partis de l'extrême droite laïque et les partis représentant le sionisme religieux, entre les racistes prônant la purification ethnique du Grand Israël de tous ses Arabes et ceux qui ne prévoient qu'un statut d'apartheid pour les Arabes israéliens, la tâche ne sera pas aisée ! notre dossier sur les différentes familles de l'extrême droite). Le prix à payer est colossal : aujourd'hui, la gauche israélienne ne représente qu'à peine 15% du corps électoral, une spécifié que ne connaît aucun autre Etat démocratique ! L'extrême droite, la droite conservatrice et le centre-droit représentent ainsi 75% de la nouvelle Knesset... in fine
Car c'est le second enseignement de ce scrutin : une poussée sans précédent des diverses familles de l'extrême droite laïque et religieuse. Alliées au Likoud, ces forces représentent désormais près de 30% du corps électoral. Une analyse plus attentive de l'équilibre de ces forces permet toutefois d'observer un affaissement des partis nationaux-religieux, et une percée inquiétante de l'extrême droite laïque d'Israël Beitenou, dirigée par le Le Pen israélien, Avigdor Lieberman. Explication. Lors des précédentes élections en 2006, la plateforme électorale Union Nationale, rassemblant divers petits partis de droite radicale chapeautés par le Mafdal-PNR (Parti National Religieux), avait rassemblé 7,1% des voix et 11 sièges. Mais comme dans toutes les formations extrémistes, les querelles internes, les divergences idéologiques, et surtout l'incessante guerre des chefs et les conflits de personnalités ont eu raison du mouvement. Sur les ruines du PNR se sont ainsi constitués deux petits partis d'extrême droite religieuse, farouchement anti-Arabes : l'Union Nationale (HaYhoud Haléoumi) et la Maison Juive (HaBait HaYehoudi), qui ont engrangé respectivement 3,34% des suffrages (4 sièges) et 2,87% (3 sièges). Victime de ses dissensions internes, feu le PNR n'a donc pas réitéré son excellent résultat de 2006. Il fallait bien une bonne nouvelle dans ces élections ! Mais l'autre parti de l'extrême droite israélienne, laïc cette fois, Israël Beitenou, a recueilli 11,70% des suffrages, soit 4 sièges supplémentaires par rapport au précédent scrutin, se hissant ainsi à la troisième place de l'échiquier politique. Le parti religieux des Juifs Sépharades, Shass, dont la branche intégriste est majoritaire depuis qu'il est dirigé par le rabbin psychotique Ovadia Yosef, a recueilli pour sa part 8,49% et 11 sièges, un de moins qu'en 2006, année où il avait dépassé le Likoud !
Enfin, comme nous l'avions prévu dans de précédents articles, la gauche est pratiquement rayée de la carte politique ! Le Parti Travailliste n'arrive qu'en 4 ème position, une première depuis la création de l'Etat d'Israël. En 2006, c'est le Likoud qui avait subi son pire résultat électoral : mais encore pouvait-il invoquer à sa décharge la scission de son aile libérale et centriste, devenue depuis Kadima ! Le Parti Travailliste ne peut même pas s'offrir ce luxe, et c'est autant dans son incapacité à renouveler son corpus idéologique qu'à définir une ligne stratégique claire que les raisons de cet effondrement historique sont à chercher. Sous l'égide d'Ehud Barak, le Parti Travailliste n'est devenu qu'un supplétif inaudible à la politique de Kadima, un parti incapable de redéfinir une pensée achevée et intelligible adaptée aux nouvelles réalités tant sociopolitiques que géopolitiques. Comme de nombreux partis sociaux-démocrates depuis une quinzaine d'années, le Parti Travailliste subit le joug idéologique et moral d'une droite redevenue décomplexée et conceptuellement cohérente. Ce que nous avons appelé la " nouvelle droite ", proche du néoconservatisme, gagne progressivement la bataille des idées en contaminant les formations de droite classique (voir ICI
Nous n'allons pas revenir ici sur le programme et les personnalités de ces divers courants de l'extrême droite israélienne. Le sujet a déjà été traité en profondeur , dans notre grand dossier en trois parties sur la tentation nationale-religieuse en Israël. Ce que nous pouvons constater, en revanche, est la triste exactitude des analyses que nous avions formulées par le passé sur cette question, et que ces élections viennent encore de confirmer :
Un nouveau parti apparaît pendant la campagne de 1923, mené par un homme récemment immigré dans le pays, et qui entend supprimer cette forme de citoyenneté en abrogeant le droit de vote de tous les non-Juifs. Le fondateur de ce parti raciste juif est appelé Geyer par Herzl (un mot allemand qui désigne un oiseau qui consomme la charogne) ; Herzl, pour construire ce personnage et son idéologie, s'inspire d'un leader antisémite viennois de l'époque, Karl Lueger. L'argument de Geyer est simple : nous sommes dans un Etat juif, et seuls les Juifs doivent avoir le droit à la citoyenneté. Les autres populations peuvent vivre et être tolérées dans ce pays, mais elles ne peuvent avoir de droits politiques équivalents. La description de la campagne électorale dans est surprenante : le parti raciste de Geyer crée une grande agitation. Dans l'un des moments les plus marquants de l'ouvrage, on assiste à une confrontation entre les supporters de Geyer et des dirigeants libéraux. Tandis que Geyer réclame les droits liés à la citoyenneté pour la seule population juive, les libéraux justifient l'existence de droits égaux pour les habitants arabes sur la base de principes universels et également de sources juives (" Il y aura une même loi parmi vous, pour l'étranger comme pour l'indigène " - Nombres 9 :14). Après une dure campagne, les libéraux l'emportent et Geyer quitte honteusement le pays. Ce roman constitue une description très intéressante. [...] Cet homme, Herzl, qui avait connu le racisme anti-juif, imaginait que les juifs puissent aussi être racistes, et il intégrait dans son roman utopique l'image troublante de l'un d'entre eux. Mais contrairement à ce qui se passait en Europe, où le racisme l'emportait, il était défait à Sion et à Jérusalem, et les principes de l'égalité et du libéralisme l'emportaient [...] ".. Ces tentatives d'euphémisation sémantique se doublent donc d'une contamination de la droite traditionnelle par les structures mentales et politiques de l'extrême droite. Simplification des enjeux, sensationnalisme et prolifération de discours émotionnels, glorification des passions ethniques ou religieuses au détriment de la raison, flatterie des bas instincts ou de l'ignorance, manichéisme verbal, incitation à la haine et au différentialisme, réécriture nationaliste et/ou religieuse de l'Histoire nationale, révisionnisme ethnocentriste sur fond de mythologie biblique. Toutes ces aberrations conceptuelles se conjuguent aujourd'hui à une radicalisation du Likoud, qui emprunte de plus en plus ses hommes et son verbe à l'extrême droite. La direction du Likoud, depuis 2006, a été investie par des associations de colons religieux, organisés en courants. Fanatiques, habités d'une mystique raciale autant que religieuse, ils militent pour orienter le Likoud dans le sens d'une défense d'Israël dans ses frontières bibliques. Parallèlement, ils entendent substituer au sionisme le judaïsme comme nouveau fondement de l'Etat, avec son corollaire : l'élimination des non-juifs.
La morale de cette histoire serait-elle que la société israélienne actuelle est politiquement moins mûre qu'elle l'était dans l'esprit de son fondateur théorique ? Chacun pourra en juger... Mais il est certain que les pulsions racistes, les velléités d'épuration ethnique ou de régime d'Apartheid qui se sont manifestées durant cette campagne n'incitent pas à l'optimisme. Même habillées d'une novlangue politiquement correcte qui ravit les gogos...
Un homme cristallise cet entrisme de l'extrême droite dans les instances du Likoud : Moshé Feiglin, qui a loué publiquement le 11 juin 2004 dans " l'acte de résistance " qu'a constitué, selon lui, le massacre d'Hébron perpétré par le terroriste kahaniste Baruch Goldstein en 1994. Progressivement, Feiglin organise tous les transfuges de l'extrême droite au sein d'un courant raciste et ultranationaliste, Manhigoute Yehoudite. Plutôt que de fonder un énième parti d'extrême droite à la marge du jeu politique, il a donc choisi d'entraîner le Likoud vers la radicalisation. Stratégie payante : loin d'être un groupuscule, son courant a représenté 20% des suffrages lors des primaires internes pour la direction du Likoud, en 2007. Les thèmes sont les mêmes que ceux de l'extrême droite : déportation des Arabes pour ériger un Etat ethniquement pur.
Et ce n'est pas fini : ce personnage emblématique de la droitisation du Likoud continue d'afficher son racisme maladif en n'hésitant pas, à l'instar son confrère de l'extrême droite autrichienne , feu Jörg Haider, à trouver toutes les vertus à la politique d'un certain... Adolf Hitler ! Dans un entretien hallucinant donné au quotidien
Ne m'en veuillez pas trop : terminer sur une note humoristique devient obligatoire lorsque j'évoque la situation israélo-palestinienne ! Comme disait Beaumarchais, " je m'empresse de rire de tout de peur d'être obligé d'en pleurer ". Il est vrai qu'avec les cinglés islamistes en face d'eux, on leur trouverait presque des circonstances atténuantes, aux faucons de l'extrême droite israélienne... Et vice-versa, d'ailleurs !