C’est
son premier livre long, dit la quatrième, mais composé d’une suite de textes
relativement brefs, appelés « chapitres », voire ponctué de strophes.
En tout cas, Albane Gellé donne l’impression d’entrer en littérature (comme
auparavant on entrait en religion). Elle emprunte, pour ce faire, le chemin
abrupt de l’autobiographie, ou de l’autofiction, mâtinée d’un aspect journal,
où l’auteur écrit sur soi et aussi sur le récit de soi. Son quotidien devient le
socle de toutes ces pages qui partent d’elle comme des phylactères en grappe. A
la fois sujet et objet. Une femme, son histoire jeune encore, mais déjà
mouvementée. Le titre le prouve, « «bougée », donc vivante, mais
aussi déplacée, dérangée, bousculée, changée. L’occasion de dire les choses
qu’on n’arrive pas, en cours, quand il aurait fallu, y a-t-il un bon
moment ? De régler des choses, en racontant de petites histoires, serrées
comme des anecdotes mais grosses de sens dans la vie aussi ; ou en
écrivant des lettres à des destinataires un peu perdus de vue, mais ça se
rattrape. Comme des lettres d’excuse, ou d’amour qu’on n’a pas osé dire. Une
façon encore de s’interpeler soi-même, et le lecteur aussi un peu. Avec pas mal
d’émotion dans le langage vrai, sans afféterie vaine, d’aujourd’hui. Et une
langue, mise en place depuis les débuts, qui sécrète et se crée au fur et à
mesure. Où la phrase classique se fait court-circuiter par la vivacité de la
pensée. Au lecteur de suivre les mêmes raccourcis avec semblable vitesse, pour
devenir synchrone. Une femme donc, pleinement consciente de son accomplissement
existentiel, et rien à voir avec de la suffisance. Pleine de questions
taraudantes, pour quelques réponses. Deux enfants qui l’ont fait avancer,
bouger. Le travail autour des ateliers d’écriture, les résidences d’écrivain,
les déplacements, l’écriture, quelques lieux de l’Ouest, la poésie moyeu, les
chevaux, comme un jumelage personnel, centaure dans l’âme entre crinière et
plumes, le côté rétif. La révolte simple et compacte devant la bêtise ambiante.
Les gens autour, bon an, mal an ; donnant, perdant. Une femme capable de
donner vie, de mettre au monde, de rencontrer, de poser des choses compliquées
sur le papier et de les résoudre pour celui qui la lit. Les traces concrètes
d’une femme en train devivre et
d’écrire, sans ombre superflue ni mystère inutile. Un parcours ordinaire et
radieux. Avec un style à soi. Une trajectoire intime bien définie que l’on
épouse affectueusement le temps d’un livre. Bougé(e), oui : remué(e),
ému(e), touché(e).
Contribution
de Jacques Morin (Jacmo)
Albane
Gellé
Bougé(e)
Editions du Seuil,
collection Déplacements
16 €.
Présentation du livre dans Poezibao