Un sale mec avec une barbe de trois jours et une veste en velours côtelés, il m’a pris ma place. J’allais m’asseoir avec le clan des quarantenaires, le trio des quarantenaires qui font les désirables, j’ai hésité un instant, il est passé sous moi, la petite pute, comme un lézard à qui tu veux faire vivre les pires supplices quand tu es enfant. Il s’est glissé sous mon bras, et s’est assis fier de lui, à deux doigts de se taper une queue sur la blonde, la plus petite du groupe, celle qui parle toujours de sa vie sexuelle à haute voix : C’est pour faire comprendre à tous les usagers qu’elle n’en a pas, qu’elle aimerait qu’on lui fasse ça. Heureusement, j’ai arrêté de l’écouter depuis que je me suis payé un iPod Nano, il y a quelques mois. Constamment sur mes oreilles, je passe mes trajets en train à revivre une rave imaginaire, en ce moment, c’est avec l’album de Dusty Kid.
Quand je suis enfin assis j’envoie un sms à ma fiancée. Je lui dis que je l’aime. La blonde réussit à couvrir le son, et ce qu’elle a fait de ses cuisses ce week-end, je l’apprends quand même. Je les ai déjà vu ensemble sur le marché avec son mari, pas loin de chez moi, un vrai stéréotype, elle la petite blonde, toute menue, et lui, l’ancien rugbyman à mi chemin entre le fantasme gay et le dj de la boite, le club dans lequel on se replie quand tout est blindé, et on s’y fait bien chier. Mais on est suffisamment bourré pour oublier. Ils se tenaient à peine la main, je me suis demandé si c’était son amant. Elle avait un peu honte d’être là. De devoir se farcir le public autour d’elle. La peur d’être reconnu. Quand on habite dans une petite ville picarde, et que l’on va sur le marché, on est comme Laure Manaudou en une de l’Équipe : La peur d’être reconnu, on essaye d’être quelqu’un d’autre, on laisse croire qu’on n’a jamais été là, que l’on n’a jamais promené ce chien.
Ma fiancée insiste pour que je ne la quitte jamais. Je la rassure : Cela n’existe pas dans le vocabulaire que l’on s’est créé. Dans mes sms, je ne mets jamais de points après mes « Je t’aime », ils sont moins oppressants, ils restent toujours ouverts, ils volent dans l’air, pas comme des particules dont on se fout, une poussière que l’on va nettoyer, plus comme une présence réelle, éternelle : C’est pour ça que je ne fais jamais les poussières dans ma chambre. Si vous croyez en Dieu, vous savez de quoi je parle. Il n’y a qu’elle et Dieu qui me donnent l’amour qui est dans l’air. J’ai l’impression d’être André des Poetic Lover quand je parle comme ça. Darlin’, faisons l’amour ce soir.