Les naufrages de l'ile tromelin

Par Lorraine De Chezlo
d'Irène Frain
Roman - 350 pages
Editions Michel Lafon - février 2009
Au large de Madagascar, il est une île minuscule où échoua en 1761 le navire français L'Utile. A son bord il y avait l'équipage mais aussi une centaine d'esclaves noirs qui emplissaient la cale. Cargaison clandestine. Les survivants Noirs et Blancs doivent bien cohabiter sur cette île hostile : trouver de l'eau en creusant le puits qui donnera un liquide saumâtre, se partager les vivres restant dans l'épave, faire le feu, trouver ensuite de la nourriture sur cette terre où il n'y a rien d'autre que des oiseaux et des tortues... Il y a des tensions, des manigances, et les morts se font plus nombreux... La seule survie sera de quitter l'île. Quand Castellan décide de construire un bateau pour s'enfuir, c'est tout le monde qui est mis à contribution. Equipage comme esclaves, tous donnent leurs forces pour bâtir cet espoir. Mais tous ne savent pas que les esclaves ne pourront embarquer... Ils resteront seuls sur cette île comme dans une prison, attendant des années qu'on viennent les rechercher.
Baptisée depuis l'île Tromelin, du nom du chevalier qui redécouvrit les 8 ultimes survivants esclaves, l'île de sable, très dangereuse d'accès, est restée méconnue. Récemment seulement, les travaux de l'historien Max Guérout et du Gran patronné par l'Unesco ont abouti à des expéditions sur place et des recherches instructives. Irène Frain s'est passionnée elle aussi par cette histoire et par ce travail de recherche. Cela se ressent dans ce livre. Son travail de romancière laisse souvent place à des chapitres où elle retrace les recherches contemporaines, où elle s'appuie directement sur les écrits historiques, sur les faits relatés.
Extrait :"A ce point des deux récits dans la brochure d'Herga comme dans le manuscrit de Keraudic, pas une phrase pour évoquer, ni même suggérer ce qui se passe dans la cale. Pas un mot sur les esclaves. Ils ne sont pas plus mentionnés que les boeufs, vaches et cochons vivants qui bêlent et meuglent dans un coin de l'entrepont.Dès les premières secousses, pourtant, ils ont bien dû crier, eux aussi, ces cent soixante hommes, femmes et enfants. Supplier, hurler comme les matelots, à s'en déchirer les poumons. Et sûrement encore plus fort : sous les panneaux cloués, ils n'ont pas la moindre idée de ce qui arrive au bateau. D'autant qu'eux, ce n'est pas l'écume qui vient leur giffler la face, ce sont leurs déjections."
Indéniablement, cette histoire captive, suscite l'intérêt sur cet "anecdote" de l'Histoire de l'esclavage, met la lumière sur des victimes "oubliées" et les machinations, les intolérances et les drames qui au fond devaient être légions à l'époque. Des marins, des hommes trafiquants d'esclaves, des navigateurs plus humanistes, tous existèrent. Cependant, des quinze années que les esclaves vécurent seuls sur l'île, passant des dizaines qu'ils étaient lors du départ des Blancs à seulement huit. Comment ils (sur)vécurent, quels furent leurs projets, leur quotidien, leurs rêves, leurs relations, il en est finalement peu question. Cela fait l'objet des recherches archéologiques récentes certes, mais la romancière n'a pas cru bon s'atteler à rendre la vie des esclaves oubliés au centre du roman, et c'est peut-être dommage.C'est un roman que je n'aurais certainement pas lu, n'étant attirée ni par la renommée de l'auteure ni par les romans historiques en général. Je reconnais sans hésitation que j'ai vraiment apprécié, même si j'y ai trouvé quelques longueurs, de me plonger dans cette histoire de l'Histoire, bouleversante, touchant à un lieu méconnu - cette île aussi hostile que magnifique -, à des hommes dont la voix s'est trop vite éteinte, et d'autre qui malgré tout ont laissé derrière eux de quoi ne pas passer sous silence cet épisode révoltant. [merci à Suzanne de ChezLesFilles]Photos et vidéos de l'île - Les naufragés de l'île TromelinLes travaux du Gran - Archéonavale