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Lumières sur David Oïstrakh

Publié le 09 mars 2009 par Philippe Delaide

Bruno Monsaingeon a signé un excellent reportage publié en DVD par Medici Arts sur David Oïstrakh.

Ce violoniste, dont je garderai le souvenir inoubliable d'un jeu d'une plénitude et d'une générosité sans égal, avec ce son lumineux, solaire, ces attaques franches et d'une densité rare, est abordé dans ce film de 75 minutes au travers d'interviews d'autres grands musiciens russes qui l'ont côtoyé comme Yehudi Menuhin, Mstislav Rostropovitch ou Guennadi Rojdestvenski. Avec une grande affection et une admiration certaine, un de ses élèves, l'excellent violoniste letton Gidon Kremer, apporte également son témoignage.

Le reportage aborde, notamment, la question de l'engagement de David Oïstrakh pour son pays, qui ne pouvait, à son époque, qu'être synonyme de soumission inconditionnelle au parti et son "système" pour reprendre le terme de Rojdestvenski. Véritable musicien dans l'âme, plus que pur virtuose, David Oïstrakh vouera avec sincérité et loyauté, une reconnaissance infinie à sa patrie pour lui avoir permis de se hisser parmi les plus grands violonistes de son époque. Le fait qu'en assumant son statut de musicien russe il ait été contraint d'adhérer au parti quand ce dernier était incarné par le régime stalinien, est une prise de position finalement acceptée, y compris par les musiciens qui avaient, quant à eux, pris l'exil pour le monde occidental, comme Yehudi Menuhin. La citation de Yehudi Menuhin, reprise en exergue du DVD, transcrit bien cette problématique : "Sa loyauté était telle que, alors que je lui ai souvent suggéré de s'installer à l'Ouest car ça aurait été facile, il disait "Non, je dois à ce régime, malgré ses crimes, mon existence, mon éducation musicale. Je reste fidèle à la Russie, au pays, au peuple, quel que soit le pouvoir." Il aurait fait pareil avec le tsar".

La façon dont ce dernier parle de David Oïstrakh, même si l'on sent bien qu'il n'aurait jamais accepté de courber l'échine sous un régime totalitaire pour exercer son art, montre tout de même une certaine admiration pour David Oïstrakh, homme sincère, intègre dont l'objectif absolu a toujours de servir la musique.

Oïstrakh artiste du peuple

Le titre du reportage est, "David Oïstrakh, musicien du Peuple ?". Ce point d'interrogation résume tout le questionnement que l'on peut avoir sur le rôle social ou politique que ce grand violoniste aurait joué, "malgré lui".

Même si ce questionnement est essentiel, il ne doit pas occulter le fait que comme tout soviétique, David Oïstrakh, a vécu au jour le jour la terreur du régime. Il n'en n'a certainement pas autant souffert que Chostakovitch, mais le témoignage de Rostropovitch sur les angoisses quotidiennes de David Oïstrakh face à la menace permanente de milices staliniennes est à ce propose édifiant. Enfin, David Oïstrakh avait aussi son franc parler, y compris à l'égard des plus hautes autorités du pouvoir stalinien, notamment à propos des procès d'intention incessants qui lui étaient faits quand il se produisait en concert en Occident avec Yehudi Menuhin.

Pour revenir à ce qui doit être l'essence d'un tel reportage, à savoir la musique, qui a été la vie de David Oïstrakh dès son plus jeune âge, on notera quelques moments forts. Le premier est justement le trop court extrait du mouvement du concerto pour deux violons de JS Bach en ré mineur où David Oïstrakh et Yehudi Menuhin constituent un duo particulièrement fusionnel et dont la complicité, l'écoute mutuelle, l'union sont d'une intensité particulièrement émouvante. J'ai été également saisi par l'éclat, la force exceptionnelle de la saisissante cadence qui suit l'Andante du 1er concerto pour violon en la mineur de Chostakovitch. David Oïstrakh subjugue littéralement l'auditeur avec ce violon qui devient comme un cri de douleur absolu dans la nuit.

Ce grand violoniste ressort encore plus attachant de ce reportage qui donne vraiment envie de le réécouter sur le vaste répertoire qu'il a couvert. Malheureusement desservi par des enregistrements de qualité souvent médiocre, on reste frustré de ne jamais avoir eu vraiment l'occasion d'écouter le vrai son de son violon dont la plénitude est si saisissante.

Je vous propose ces vidéos, tirées de Youtube et illustrant les moments forts que j'évoque dans cette note :

Le premier est l'extrait du mouvement lent du concerto pour deux violons de JS Bach en ré mineur BWV 1043 (Largo ma non tanto), vibrant duo de David Oïstrakh avec Yehudi Menuhin. J'ignore qui est le chef accompagnant les deux solistes. Une version au disque existe avec Alexander Orlov à la tête de l'Orchestre Symphonique de l'Etat de Russie.

L'autre vidéo diffuse quant à elle l'intégralité de la cadence du 1er concerto de Chostakovitch. Il s'agit de la version avec Heinz Fricke, à la direction de la Staastskapelle de Berlin. Sinon, je recommande l'étincelante version que David Oïstrakh a enregistrée avec Guennadi Rojdestvenski à la tête du Philarmonia Orchestra (enregistrement de 1962, disponible sous le label BBC Legends / IMG Artists).

David Oïstrakh, Artiste du Peuple ? - Film de Bruno Monsaingeon - DVD Medici Arts. DVD réalisé avec le soutien de la FONDATION ORANGE, d'ARTE et du CNC.


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