… La grandeur de la “cause” justifie-t-elle le fanatisme ?
John Brown est un des premiers blancs abolitionnistes des États-Unis d’amérique, né en 1800 dans le Connecticut. C’est un calviniste, imprégné d’un Dieu rigoureux. Dans sa lutte contre l’esclavage il deviendra activiste, guerrier fanatique. Sa lutte est idéalisée, divinisée : l’esclavage est la marque de Satan, l’éradiquer, c’est tuer Satan pour l’amour de Dieu.
Une étudiante en mal de thèse, demande à Owen Brown, le fils de John maintenant âgé et seul, de lui raconter son Père. “Pourfendeur de nuages ” c’est le fils “miroir”, complexé, à la fois adorateur et irrité.
Sa vision de la vie est manichéenne : il n’y a que deux camps, ceux qui sont contre l’esclavage et le racisme et donc avec lui, et ceux qui sont pour cette infamie, contre lui. Pas de neutralité possible, le combat et la violence sont les seules voies.
« Mon père est-il fou ? Je me rends compte que c’est la seule question qui puisse avoir de l’importance pour vous. », note-t-il au début de son récit. Pour tenter d’y répondre, il remonte le temps bien avant l’insurrection, à l’époque où il n’était qu’un enfant. Et lentement, il déroule les vingt ans qui les amèneront, lui et les siens, aux événements tragiques de 1859, et à l’attaque de l’Arsenal Federal de Harper’s Ferry .
Au delà des terribles luttes des abolitionnistes. Au delà de la description talentueuse d’un idéalisme religieux devenant fanatisme, de l’emprise pesante d’une religion rédemptrice implacable et omniprésente au quotidien. Le livre est aussi, peut-être surtout, le récit d’un fils vivant dans l’ombre d’un Père hors du commun. Un fils “asphyxié” par Le Père, la famille, incapable de vivre par lui-même et qui pourtant se libérera douloureusement sur le tard. C’est l’histoire par le petit bout de la lorgnette, celle de l’entourage du héros. On dirait de nos jours, le côté people de l’histoire, celle qui s’accomode des faiblesses, des hésitations, qui rend compte de la face cachée de l’icône.
Plus le récit avance, plus on suspecte John Brown de laisser s’exprimer son fanatisme religieux. En effet, non seulement son attitude face aux noirs est bien souvent paternaliste et condescendante, mais les assassinats de quelques esclavagistes ressemblent plus à une boucherie laissant libre cours à la folie et aux frustrations accumulées, qu’à la mise en pratique d’une idéologie quelconque.
“Pourfendeur de nuages” n’est pas seulement un roman sur la question de la race et du racisme, des rapports entre idéalisme et fanatisme. C’est aussi une lente plongée dans un période particulièrement agitée de l’histoire américaine, celle qui précède la guerre de Sécession.
Le roman est sombre, cruel, poignant; on en sort “chahuté” !Pour ma part, j’en retiens la leçon essentielle : les convictions, même les plus “hautes”, les combats, même les plus justes, ne peuvent justifier et excuser le fanatisme aveugle.
“Pourfendeur de nuages” de Russel Banks
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