C’est une idée reçue que quiconque a des droits a aussi des devoirs, les uns étant la contrepartie des autres. Comme si dans toute société l’échange ne concernait pas seulement les aliments et les services, mais aussi les notions morales : puisque vous me reconnaissez le droit de faire cela, alors je me reconnais le devoir de vous laisser faire de même.
On suppose donc que, droits et devoirs s’équilibrant, ils ont même statut et même poids. Pourtant que serait un droit s’il n’était reconnu par personne, si nul ne se sentait tenu de le respecter ? Mon droit de posséder une chose n’a de réalité qu’autant que d’autres s’obligent à ne pas me l’ôter par force ou par ruse. Ainsi un droit n’est effectif que par l’obligation qu’il peut susciter. Comme l’expliquait Simone Weil en son prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain, la notion d’obligation est antérieure à celle de droit.
Au fond, il n’y a entre ces deux mots qu’une différence de point de vue. Si je considère les droits d’autrui, ils expriment l’ensemble de mes obligations et je n’ai à son égard que des devoirs. C’est uniquement de son point de vue que j’ai des droits, lorsqu’il considère ses obligations envers moi : pour lui je n’ai même que des droits.Autrement dit, j’ai des droits signifie seulement : autrui a des obligations, et autrui a des droits : j’ai des obligations. Mais je n’ai pas, en même temps et sous le même rapport, des droits et des devoirs.
Ce qu’on appelle réciprocité des droits et des devoirs signifie en fait la réciprocité des obligations, voire l’éternelle et commune obligation à l’égard de l’être humain en tant que tel.