Positiver la crise ?
Le premier ministre a planté le décor de la semaine mardi matin. Un mauvais décor. «Il a un peu trop noirci le tableau», a rapporté un "sarkozyste" au Figaro, à l'issue du Conseil des Ministres. La crise sera longue et dure, aucun plan de relance n'apportera de solution magique, et les comptes publics sont bien plombés. La vraie surprise vient de l'ampleur du déficit: 104 milliards d'euros en 2009, c'est-à-dire une réévaluation à la hausse de plus de 50 milliards d'euros. C'est la quatrième fois en moins de six mois que le gouvernement dégrade ses prévisions. "Gouverner, c'est prévoir" dit la maxime. Visiblement, l'exécutif français fait exception. Une partie de ce dérapage s'explique aisément : les recettes fiscales perdent 20 milliards, "à cause de la récession" d'après le premier ministre. Osera-t-on lui répondre que ses défiscalisations massives d'heures supplémentaires, de bouclier fiscal, de droits de succession, etc, pèsent de façon anachronique et dangereuse sur le budget ? Plus surprenant est le chiffre de 30 milliards d'euros annoncés pour les mesures de relance. On croyait que la relance portait sur l'investissement, pas sur la consommation. Quand on somme les différentes mesures immédiates qui grèvent le budget de l'Etat, on parvient péniblement à une vingtaine de milliards d'euros : 4 milliards de relance annoncée en novembre, 6,5 milliards de prêts pour le secteur automobile, 850 millions d'euros de nouvelles dépenses "sociales", 580 millions d'efforts pour l'outre-mer, suite aux mouvements de grève aux Antilles, aides de l'Etat à la presse pour 200 millions, aggravation du déficit de la Sécurité Sociale de 7 milliards d'euros. D'où vient le reste ?
Fillon aurait dû prendre exemple sur Frédéric Lefebvre, le député-suppléant de l'UMP. Quelques heures après l'annonce de l'explosion du chômage en janvier, le voici qui déclare: "La stratégie du plan de relance commence déjà à porter ses fruits."
Sarkozy claque Boutin et Fillon
Mercredi, lors du Conseil des ministres, le président a distribué quelques gifles. Christine Boutin s'est d'abord fait remontée les bretelles. Le projet de texte relatif à "l'autorité parentale et aux droits des tiers" est sans doute la seule et unique bonne nouvelle de la semaine. C'est aussi devenu un beau vacarme sarkozyen, un sujet de société qui divise jusqu'à son camp. Christine Boutin avait exprimé sa réticence, réclamant même un débat télévisé (avec Jean-Luc Delarue ?). Nadine Morano, la secrétaire d'Etat chargée de la famille, défendait le droit à l'homoparentalité. Christine la Catholique n'a pas appréciée. Nicolas le président lui a rétorqué : «quand on n'est pas content, on s'en va !».
Sarkozy a aussi tancé l'ensemble de son gouvernement : il faut positiver ! François Fillon s'est indirectement fait reprocher sa vision sombre et sans issue de la situation du pays. Le chef de l'Etat réfléchit à une campagne de pub. Il a demandé à ses ministres d'écrire aux quatre millions de Français concernés par la suppression des prochains tiers provisionnels et la prime de 150 euros attribuée à certaines familles. C'est la Poste qui va être contente !
Sarkozy, amuseur public
Chaque ministre devrait prendre exemple sur le chef de l'Etat. Les discours présidentiels sont bien rodés : les constats sont souvent exagérés ou imprécis; les mesures apportées en réponse sont tantôt floues, tantôt déjà connues, voire annecdotiques; et pour supporter tout ça, Sarkozy martèle les mêmes exemples et les mêmes théories. Mardi 3 mars, Nicolas Sarkozy parlait ainsi formation. Un grand discours ... inquiétant et drôle à la fois. En déplacement dans la Drôme devant une assistance maîtrisée, le président français a recasé un peu idéologie (Je pense que le but pour chacun c'est d'assurer la promotion de sa famille. Le social, c'est pas le nivellement, c'est pas l'égalitarisme, c'est pas le misérabilisme."), puis appuyer ses constats. Puis il a ensuite fait quelques annonces, un mélange de mesures déjà connues (comme la création d'un fonds d'investissement social, sans plus de précision sur son fonctionnement), inquiétantes (comme le regroupement/restructuration des "organismes paritaires collecteurs agréés", ou ... l'inclusion des cours du soir dans le congé individuel de formation !), et anecdotiques (comme la mise en place d'un "centre d'appel téléphonique et un portail internet"). On positive les amis ! Même topo sur la réforme territoriale. Sarkozy a reçu le fameux rapport de la Commission Balladur jeudi dernier. Et il a rassuré tout le monde : on prendra le temps pour en discuter (4 mois), on ne touche pas à Paris, et on discutera de la loi cet automne. Que personne ne s'inquiète... "Ayez confiance"
Positiver la crise financière ?
A ce jeu de la "positive attitude", Christine "Marie-Antoinette" Lagarde est la championne du gouvernement. Depuis mai 2007, la ministre de l'Economie applique les recettes de communication de l'entreprise moderne. Elle ne parle jamais de problèmes, ni de difficultés, mais de "solutions à venir". Cette semaine, les bourses européennes dégringolent comme Wall Street. Les assureurs français tremblent de fragilité à cause des difficultés du groupe américain American International Group (AIG), ancien numéro un mondial de l'assurance. Qu'importe ! Christine est là, prête à intervenir comme pour les banques : "Le principe est le même (qu'avec les banques) dès lors que les établissements se trouveraient en situation de risque systémique", a-t-elle expliqué jeudi. "J'espère que les compagnies d'assurance qui ont jusqu'à présent très bien résisté à la crise et bien géré leurs opérations continueront de le faire".
S'inquiète-t-on des déficits, et donc de la dette publique française ? La France pourra-t-elle encore emprunter correctement sur les marchés ? La ministre est encore là pour rassurer : elle annonce qu'elle fait «tout ce qui est nécessaire et possible pour maintenir la signature de la France au niveau triple A et pour bénéficier au maximum des baisses de taux d'intérêt qu'on constate actuellement». On n'en sait pas plus, mais au moins, elle dit qu'elle bosse...
Sans rire, la ministre a aussi demandé aux Banques Populaires et aux Caisses d'Epargne de revoir la stratégie de leur filiale commune Natixis. Le même jour, François Pérol achevait son grand schelem du pantouflage élyséen. Il a été nommé Président du Conseil de Surveillance de... Natixis. L'action valait 84 centimes vendredi soir. Quand cette filiale commune a été introduite en Bourse en 2006, sur les conseils notamment de François Pérol, elle en valait ... 19 euros.
Positiver les prisons ?
Jadis si prolixe, qu'elle est discrète la Garde des Sceaux ! Rachida Dati avait pourtant repris le "travail" 5 jours à peine après son accouchement début janvier dernier. Depuis, silence radio. Assommée par l'annonce de son départ prochain du gouvernement, une simple confirmation de sa disgrâce présidentielle, la "Loana" du Loft Sarkozyste n'a pas réagi à la cascade d'évènements judiciaires de ces dernières semaines : rebondissements de l'affaire Colonna, évasion de la prison de Moulins, suicides en prisons, les sujets étaient nombreux pourtant.
Mardi, la silencieuse Garde des Sceaux présentait son texte de loi pénitentiaire au Sénat, avec 6 mois de retard. Au 1er février 2009, les prisons françaises comptaient 62.144 détenus, pour 52.589 places. La responsabilité du président sur le sort des prisons est clairement engagée : depuis mai 2007, Rachida Dati a fait voter et promulgué la fameuse loi "anti-récidive" instaurant des peines planchers, qui a aggravé la surpopulation carcérale. Et pour des résultats décevants de lutte contre la délinquance : la délinquance générale et les actes les plus violents ont augmenté en 2008. Le projet de loi Dati ne résout pas grand chose : il confirme beaucoup de droits mal respectés, comme le maintien des liens familiaux (article 15), le droit au travail (article 14), l'accès à à l'information écrite et audiovisuelle (art 19), et même, ô surprise la libre communication des détenus avec leurs avocats (article 11), mais sans donner de moyens. Il voulait même supprimer le principe de l’encellulement individuel, mais le Sénat l'a refusé.
Rachida Dati avait la tête ailleurs. Passée l'adoption du projet au Sénat vendredi 6 mars, la Garde des Sceaux préparait sa rentrée médiatique. Elle pense à la Mairie de Paris. Pas question de rester silencieuse. Interview dans la nouvelle édition du samedi du JDD, journal télévisé de France 2 (Sarkozy lui a refusé TF1), puis Europe 1 lundi matin, et même Mireille Dumas sur France 3 un peu plus tard. Rachida Dati veut surtout positiver son propre sort.
Positiver les expulsions ?
Depuis quelques jours, Eric Besson, le ministre de l'identité nationale, suit les recommandations de son patron de président. Il positive beaucoup: il avait déjà rencontré, la semaine passée, des jeunes Afghans et Irakiens près de la gare de l'Est à Paris, et annoncé la reconduite des fonds alloués par le gouvernement à l'association France Terre , soit 2,7 millions d'euros. Lundi 2 mars, il signait une circulaire addressée aux préfets leur demandant de "promouvoir le "label Diversité" auprès des employeurs publics et privés de leurs départements"... Lundi soir, il faisait régulariser le boxeur afghan de Tourcoing, Sharif Hassanzade, devenu champion de France. Une vraie métamorphose ! On n'oubliera pas la situation réelle du terrain : mercredi, un professeur de philosophie était convoqué au Tribunal de Grande Instance de Bobigny pour comparaître devant un procureur. Son délit ? Avoir posé trop de questions à des policiers accompagnant un expulsé. Jeudi, une militante de Calais passait en jugement à la Cour d'appel de Douai. Son délit ? Depuis 5 ans, elle a photographié toutes les interpellations de sans-papiers auxquelles elle a pu assister. Belle semaine !
Au fait, dimanche 8 mars, on célèbre la Journée Internationale de luttes des Femmes. L'hebdomadaire Vendredi, relayé par Marianne2, consacre ses colonnes à l'évènement.
Quelqu'un a-t-il remarqué l'étrange et discrète masculinité du cabinet élyséen ?
Ami Sarkozyste, où es-tu ? &alt;=rss