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Ils ne l’emporteront pas au paradis !

Publié le 08 mars 2009 par Perce-Neige

J’avais beau, ce soir-là, tenter de me raisonner en récapitulant, soigneusement, l’une après l’autre, les différentes perspectives qui s’offraient à moi, je n’en menais pas large, je vous assure ! Tout portait à croire, en effet, que, dorénavant, mes jours étaient comptés et que je serai, immanquablement, la toute prochaine victime de cette affreuse mascarade. Je me suis versé, aussi sec, et sans vraiment mégoter sur la quantité, un autre verre de bourbon puis, sans rien attendre de spécial du combiné téléphonique presque toujours silencieux depuis des lustres, me suis dirigé, tant bien que mal, vers la seule fenêtre de mon deux pièces-cuisine qui donnait directement sur l’esplanade du boulevard Gambetta. Un terrible frisson, j’en conviens, m’a brusquement parcouru l’échine à ce moment précis. Je commençais sans doute à prendre réellement conscience qu’il n’y aurait, cette fois, plus aucune espèce d’échappatoire. Et que c’était la loi du genre, en un sens : il en était toujours un peu ainsi dans les romans d’aventures, n’est ce pas ? Personne ne peut éternellement braver son destin, je m’en doute… Si bien qu’un jour ou l’autre, quoique vous fassiez, et quelque soit l’étendue de votre talent pour vous éclipser au meilleur moment, vous vous retrouvez effectivement sur la toute dernière page du manuscrit. Que dis-je ? La toute dernière ligne du tout dernier paragraphe… Bon sang que c’était dur à admettre. Dehors, sur le boulevard, ça sentait presque l’été. Les jeunes femmes qui l’arpentaient, avaient, déjà, allègrement sorti leurs décolletés et des ribambelles d’adolescents fugueurs envahissaient les trottoirs en se chamaillant à qui mieux mieux. Quant aux pigeons et autres volatiles intrépides, ils s’en donnaient à cœur joie en peuplant le feuillage printanier des platanes de milles gesticulations bavardes et pourtant presque invisibles depuis mon poste d’observation. Je n’en pouvais plus, mon verre à la main, d’ignorer de quoi demain serait fait… Même s’il me fallait admettre que j’avais, il est vrai, pas mal tiré sur la corde, ces derniers mois et qu’il était temps, pour ainsi dire, de payer mon insolence au prix fort. Du moins, c’est ainsi que l’on devait considérer ma situation, quelque part, très loin de moi, dans les bureaux climatisés du ministère de la défense et des affaires étrangères. Car, de mon point de vue, naturellement, je n’avais jamais fait que mon devoir, lequel consistait à révéler rien moins que la vérité ! Certes sans aucune concession d’aucune sorte, et parfois même, je le concède, en forçant légèrement le trait, mais à peine, croyez-moi. Le fait est que je n’y étais pas allé de main morte. Et qu’ils en avaient tous, plus ou moins, pris pour leur grade mais comment faire autrement, je vous le demande ? Vu que j’avais décidé, une fois pour toutes, de ne plus leur faire la moindre concession. Sauf qu’à la quatrième gorgée de bourbon, j’ai bien failli m’étrangler. Là, à quelques dizaines de mètres de moi, à peine, juste sous ma fenêtre, bordel, une Toyota noire aux vitres fumées, étrangement silencieuse, venait, comme par hasard, de s’approprier la dernière place de stationnement qui restait libre des kilomètres à la ronde. « Bon sang ! » me suis-je dis en réalisant qu’une femme terriblement sexy s’en approchait aussi sec et adressait, mine de rien, au conducteur dont je ne pouvais pas voir la physionomie d’où j’étais, toute une série, assez désagréable au fond, de petits gestes maniérés censés singer l’envie d’une certaine forme de connivence. Je ne sais pas ce qui m’a pris. J’ai tout de suite pensé à tous ces trucs morbides que les types du contre-espionnage m’avaient longuement expliqués quand, dans le sous-sol de la villa de François Ferdinand, ils avaient craché le morceau en me parlant, toute une nuit, de l’explosion des ateliers d’AZF. Et puis, sans lien avec le reste, me sont revenues à l’esprit les théories des trois chimistes ukrainiens hébergés quelques mois, l’an dernier, par Véronique et Georges-Henri Frémond, et qui avaient raconté un peu partout que la pollution en radicaux hydrogénés de toutes sortes commençait sérieusement à tous nous esquinter la cervelle en nous privant, de plus en plus souvent, de notre appétit de comprendre. Se pouvait-il que le Mossad m’ait enfin repéré et parvienne, in-extremis, à griller la politesse aux zozos de la CIA ? C’eût été presque comique sauf que ces loustics ne plaisantaient guère. La blonde aux lunettes noires et à la jupe méchamment fendue, au point d’en être à demi provocante, bordel, s’était brusquement immobilisée à deux pas du véhicule banalisé comme s’ils avaient tous compris, elle, mais aussi les autres, que j’avais entrepris de l’observer en m’emparant, vite fait, de la paire de jumelles que je gardais toujours, Dieu soit loué, dans les parages. Le fait est que ces cinglés avaient, tout de même, fini par avoir la peau de Georges-Henri, vu que le trente tonnes qui roulait à toute berzingue à contresens de l’autoroute n’avait pas fait plus d’une bouchée de sa Citroën décapotable. Et quant à François Ferdinand, cette saleté cancéreuse qui s’était abattue sur les poumons, en juin dernier, ne lui avait laissé à peu près aucune chance. Bordel… J’étais à deux doigts de ricaner car un type que j’avais déjà vu quelque part (mais où ?) venait tranquillement de sortir de la Toyota en s’abstenant, ostensiblement, de lorgner, ne serait-ce qu’une seule seconde, dans ma direction. La blonde avait ébauché un drôle de sourire et j’en ai profité pour avaler une gorgée de bourbon et pour attraper la carabine que j’avais, par chance, déposée là, sur le fauteuil, la veille au soir. Je me sentais presque calme. Le type s’est approché de la jeune femme et l’a serré maladroitement dans ses bras. Je ne dirais pas que c’était émouvant mais je me suis surpris à l’envier. C’est drôle comme on en viendrait à croire, pour peu qu’on en oublie l’essentiel, oui, c’est drôle comme on en viendrait à croire, parfois, à l’étrange et pénétrante beauté du monde.


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