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Conseil de lecture

Publié le 24 juillet 2007 par Pierre Mounier

Dernier post avant le départ. En guise d'au revoir pour cette année, c'est sur une recommandation de lecture que je souhaiterais m'arrêter. De la culture en Amérique, par Frédéric Martel est un ouvrage pas très récent - novembre 2006 je crois, mais absolument indispensable. En ce qui me concerne, il s'agit certainement du livre le plus important que j'ai lu cette année. Il propose en effet une enquête extrêmement documentée et fouillée sur le secteur culturel aux Etats-Unis, tel qu'on n'en discute jamais en Europe : musées, bibliothèques, théâtres et orchestres, plutôt que l'inévitable Hollywood dont on parle habituellement pour des raisons évidentes d'impérialisme culturel.

L'analyse que produit Frédéric Martel sur ce sujet est de première importance, d'abord, parce qu'elle fait voler en éclat un certain nombre de clichés et de mauvais procès intentés aux Etats-Unis sur leur politique culturelle, mais aussi et surtout, parce qu'elle permet de comprendre la cohérence d'un ensemble totalement imbriqué dans la vie de la société et en accord un certain nombre de valeurs essentielles de la société américaine. Je vous laisse découvrir, par l'intermédiaire d'un certain nombre de comptes rendus parus dans la presse, le gros de l'argumentation de l'ouvrage : l'importance de la philanthropie, la notion de diversité culturelle, le rôle de l'Etat par le biais quasi-exclusif de la fiscalité, etc.

C'est pourtant à un autre niveau que ce livre m'a véritablement été utile. Il m'a en effet fait prendre conscience à quel point, en tentant de singer le modèle américain, en lui empruntant des éléments isolés sous prétexte qu'ils « marchent bien », comme nous le faisons de manière de plus en plus intensive, nous nous fourvoyons complètement, parce que nous ne voyons pas que chacun de ces éléments fait partie d'un tout cohérent, une « exception culturelle américaine » comme l'écrit avec intelligence Frédéric Martel qui est tout à fait inimitable. Ainsi les fondations privées par exemple. Martel montre bien qu'aux Etats-Unis, le développement des fondations privées repose sur une importance activité philanthropique dont il faut aller chercher les racines jusque dans l'éthique protestante du capitalisme d'un côté, et dans la notion de communauté de l'autre, dont l'importance est tout à fait propre à ce pays.

En lisant ces pages, je n'ai pu m'empêcher de penser à des développements récents dans la vie culturelle française qui montraient à quel point on pouvait tenter de copier le modèle américain sans comprendre à quel point c'est en réalité impossible. Je pensais d'abord à la mutation que connaît aujourd'hui le musée du Louvre, où l'on voit de plus en plus que telle statue a été restaurée grâce au don de telle entreprise ou que telle exposition a été rendue possible grâce à la générosité de telle autre. Ce détournement des oeuvres d'art, transformées en hommes-sandwich du CAC 40 est identifiée à tort comme une américanisation du fonctionnement des institutions culturelles, alors que la philanthropie américaine, repose essentiellement sur des dons en provenance de personnes privées, ou par l'intermédiaire de fondations. Les ressorts et les motivations du financement sont très différentes dans un cas et dans l'autre. Je pensais aussi au pataquès provoqué il y a quelques années par François Pinault à propos de l'installation de sa collection d'art moderne sur l'île seguin (c'est finalement le Palazzo Grassi, à Venise, qui sera choisi), affaire typiquement française ou c'est quand même à l'Etat qu'il s'agit de se mesurer, toute fondation privée qu'on soit, pour finir par véritablement expatrier ses collections, c'est-à-dire les soustraire à l'accès du public, exactement à rebours de ce que les fondations américaines considèrent généralement comme leur mission première.

Finalement, ce que montre Frédéric Martel, c'est que la vie culturelle aux Etats-Unis, repose pour l'essentiel sur quelque chose qui n'est pas l'Etat (d'où l'absence de Ministère de la Culture aux Etats-Unis), mais qui n'est pas non plus le marché contrairement à ce qu'on croit ; sur un tiers-secteur fait de philanthropie, de bénévolat, de communities et de diversité ethnique et qu'il appelle, faute de mieux, société civile. Cette société civile dans sa dimension culturelle est soutenue par l'Etat (via sa politique fiscale) et aussi par le marché (via les capitalistes philanthropes). L'un et l'autre la menacent aussi, par la censure dans un cas (et nous sommes renvoyés aux culture wars qui font l'objet d'un chapitre entier), et le mercantilisme dans l'autre (des boutiques, produits dérivés et aussi du mécenat d'entreprise). On perçoit toutefois toute la cohérence d'un système dont les ressorts principaux reposent sur ce tiers-secteur, cette société civile dont, et c'est notre particularité, nous autres français sommes totalement dépourvus. Ce que met en lumière ce livre, c'est donc que les Etats-Unis ont un système culturel conforme à leur génie national, c'est-à-dire à leur histoire et aux idéologies et modes d'organisation qui se sont développés sur leur sol. Il invite donc à revoir totalement la notion d'exception culturelle en en faisant une notion partagée qui ne peut que nous encourager à être nous aussi fidèle à notre propre génie national, mais non pas sur le mode de la concurrence des universalismes, et pas plus sur celui du particularisme résistant à l'universalisme, mais bien plutôt comme coexistence des particularismes. De ce point de vue, l'affaiblissement programmé du rôle de l'Etat (dont l'inefficacité croît évidemment avec la marginalisation dans laquelle on le tient : CQFD) ne peut conduire qu'à un désert culturel ; simplement parce que nous n'avons ni philanthropes, ni bénévoles pour prendre le relais à grande échelle.

Sacré paradoxe : ce livre qui met en évidence la cohérence et l'efficacité de la politique culturelle américaine me conduit à rejeter toute idée d'imitation pour m'attacher encore plus aux particularités du système étatique français que la plupart de la classe politique française considère comme bon pour la casse. C'est une lecture toute personnelle et que j'assume comme telle !


Vous pouvez l'acheter sur Amazon : Frédéric Martel, De la culture en Amérique, Gallimard, 2006.

Signalons aussi que Frédéric Martel anime Sur France Culture une excellente émission consacrée aux industries culturelles, intitulée Masse Critique, où l'on parle très souvent de nouvelles technologies.


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