Episode 7 : Où le lecteur qui s'attend à des scènes torrides va être très déçu parce que ce conte se veut moral et ce blog décent.
La Belle Monogramme avait un petit défaut : son sens de l'orientation était un peu défaillant. Aussi faillit-elle s'égarer dans le labyrinthe des couloirs du splendide château. Mais heureusement pour elle, le Prince Charmant avait la manie de s'asperger d'une eau de toilette dont on pouvait renifler l'odeur à cent mètres et qui possédait, entre autres propriétés, celle de stagner pendant vingt-quatre heures à l'endroit où il s'était tenu. La Belle Princesse de conte de fée n'eut donc aucune difficulté à le suivre dans son parcours mais se fit la réflexion que si, comme la tradition le voulait, ils devaient tous deux se mettre à la colle, elle lui ferait changer de marque parce que celle-là était vraiment trop entêtante.
Le Prince Logarithme s'était enfermé dans sa chambre et avait réussi à enfiler des vêtements qui avaient au moins le mérite d'être à sa taille. (C'était d'ailleurs leur seul et unique mérite.) Assis sur son lit, il réfléchissait au moyen de reconquérir le cœur de la Belle alter ego qui, non seulement ne comprenait rien à ce qu'il lui disait mais surtout l'avait vu dans une tenue (ou plutôt une absence de tenue) qui le faisait rougir de honte. C'est alors qu'on frappa à la porte. « Qui est là ? » demanda Logarithme, soudain inquiet. « C'est moi, Prince Charmant, dit la voix de Monogramme. Ouvre, j'ai à te parler. » « Si c'est pour m'insulter encore, tu peux repartir d'où tu viens », rétorqua Logarithme, totalement incohérent eu égard aux préoccupations qui hantaient son esprit la minute précédente. « L'heure des malentendus est passée, fit Monogramme. La sorcière est vaincue et il faut que nous nous rencontrions enfin si tu veux sortir de cet endroit sinistre. » « Il n'est pas sinistre du tout, rectifia Logarithme qui tenait avant tout à la précision. Le parc est magnifique, le château somptueux... » « Vas-tu ouvrir, bourrique, oui ou non ? cria tout à coup la Belle Monogramme en tapant du pied. J'en ai marre de faire le pied de grue devant cette porte ! Je veux tirer la chevillette et faire choir la bobinette ! Ce n'est pas trop te demander, quand même ? » Le Prince Logarithme se leva d'un bond. « Je t'ai reconnue ! piailla-t-il. En fait, tu es venue pour me manger tout cru ! » La Belle Monogramme resta un moment silencieuse. « Je commence à me demander si je ne vais pas changer de restaurant, dit-elle enfin. Il y a, de part le monde, des Princes infiniment plus savoureux que toi. Salut, steak frites, au plaisir de ne pas te revoir. »
Il y eut un bruit de pas dans le couloir. Terrifié à l'idée de rester à nouveau seul et d'avoir ainsi manqué sa destinée, Logarithme se précipita vers la porte et l'ouvrit toute grande. « C'est pas trop tôt ! » gronda Monogramme en le repoussant et elle pénétra dans la pièce. « Franchement, ce qu'il ne faut pas faire pour arriver à te délivrer ! » « J'ai des blocages, expliqua Logarithme, la main sur le cœur. Et je suis très contradictoire. Je veux à la fois être libre et ne pas l'être, aimer et ne pas aimer, rester et partir... » Mais il ne put finir sa phrase. La Belle Monogramme s'était approchée de lui et lui avait fermé la bouche avec un baiser aussi fougueux que brûlant. La suite est à l'image de ce que vous pouvez imaginer, lecteurs libidineux.
Pendant que le Prince et la Princesse, enfin réunis, dégustaient un délicieux repas, Marsupilania, Multimédia et Myxomatose erraient dans les couloirs en se demandant où était passée Monogramme. Comme ils avaient eux aussi un sens de l'orientation assez spécial, et différent, le résultat ne se fit pas attendre. Le quatrième carrefour vit la première dispute ; le cinquième, la seconde ; au sixième, Myxomatose reçut un coup de pied au derrière ; au septième, Marsupilania se fit tirer les cheveux ; au huitième, Multimédia éclata en sanglots parce qu'ils étaient perdus et qu'il allaient finir en squelettes avachis au fond d'un couloir paumé dans un château pourri. Finalement, Dame Marsupilania se rendit compte qu'il y avait une odeur bizarre dans ce labyrinthe, un truc du genre 26,35 de Jean-Paul Gautier mais qui aurait mariné et tourné à l'aigre. Et l'odeur ne stagnait que dans certains couloirs. « Suivons ces miasmes putrides, dit notre héroïne. Ils nous mèneront sûrement quelque part. » « Oui, en enfer, pleurnicha Myxomatose. C'est l'odeur du soufre, je la reconnais. » « Pas du tout, intervint Multimédia. Je penche pour la rose putréfiée. » « Anyway, peu importe, fit la polyglotte Marsupilania. Je suis sûre de moi ; suivez-moi. D'ailleurs je suis infaillible.» La dernière affirmation provoqua chez le Chevalier Masqué un ricanement odieux auquel notre Vaillante ne voulut pas prêter attention. Et la troupe s'engagea dans le couloir le plus malodorant qu'elle avait pu renifler.
Un temps certain plus tard, ils arrivèrent enfin devant la porte de la chambre princière. Là, l'odeur se dissipait totalement. « Je pense que nous sommes arrivés, dit Marsupilania. Où, je n'en sais rien mais nous allons tout de suite régler le problème. » Et elle tourna la poignée de la porte. Qui refusa de s'ouvrir. Nouvelle tentative, nouvel échec. « Chevalier Masqué, dit-elle majestueusement, enfonce cette porte. » « Avec quoi, aimable Marsupilania ? rétorqua Myxomatose. Mes muscles sont en guimauve et il n'y a point de bélier aux alentours. » « Toi, tu ressembles de plus en plus à quelqu'un de ma connaissance, murmura Marsupilania. Je finirais bien par trouver, et là, crois-moi, ton masque ne te servira plus à grand-chose. » « Jetons l'écran d'ordinateur de Multimédia contre la porte », proposa le Masqué afin de détourner la conversation. Mais la propriétaire dudit écran couina d'une façon si atroce que l'idée fut instantanément abandonnée. D'ailleurs, « elle était idiote », assura la Vaillante. Et elle donna un grand coup de poing dans la porte, histoire de voir si quelqu'un, derrière ce vantail de bois, allait répondre.
« Quoi ? fit la voix courroucée de Logarithme. Si c'est pour les handicapés, il n'y a personne et j'ai déjà donné. » « Monogramme est-elle là, s'il vous plait ? » s'enquit Marsupilania fort poliment. « Oui, dit Monogramme. C'est toi, Marsu ? Revenez plus tard. Je suis occupée, j'apprends à Logarithme à jouer aux tarots. » « Quelle drôle d'idée, dit Myxomatose, étonné. Princesse, votre rôle dans cette histoire ne se borne pas à jouer aux cartes. » « Je ne t'ai pas demandé ton avis, je crois, lapin aux yeux rouges », rétorqua fort peu courtoisement Monogramme. Multimédia ayant demandé pourquoi le Chevalier Masqué se faisait traiter de lapin, il fallut que Myxomatose déclinât, à regret, son nom. Nous ne nous étendrons pas sur la réaction de ses deux compagnes, le lecteur a suffisamment d'imagination pour s'en faire une idée. « J'en ai encore pour un moment, dit tout à coup la voix de Monogramme qui avait tendance, par moments, à dérailler vers le haut. Allez au salon et attendez-moi. » C'était la solution la plus sage. Mais où se trouvait le salon ? « Et c'est reparti pour l'errance sans fin », dit Multimédia, découragée en emboîtant le pas à Marsupilania qui, complètement au pif, avait tourné dans le couloir de droite.
(Nos héros trouveront-ils le salon ? Et Logarithme parviendra-t-il enfin à se mettre en tête les règles du tarot ? Le conte est-il bientôt fini ?... Suite au prochain épisode.)