Contes de l'ordi sacré : Logarithme et Monogramme 8

Publié le 07 mars 2009 par Porky

Episode 8 : Où Logarithme et Monogramme rejouent une scène célèbre de La Cantatrice Chauve, en y ajoutant quelques beaucoup d'éléments de leur cru, et parviennent à découvrir la vérité. (Episode avec références littéraires.) 

Alors que nos trois ahuris, à la recherche du salon, se perdaient à nouveau dans les couloirs du splendide château, le couple princier ayant terminé sa partie de jambes en l'air cartes échangeait des propos nettement plus amènes que ceux  proférés au bord de la rivière de sang impur. Il faut dire que Gudule la Sorcière, responsable de tous ces maux, ayant été expédiée manu militari sur l'île de Sainte Marguerite, ses malédictions et ses tours de passe-passe variés n'avaient plus aucun effet sur nos héros. Adonc, la conversation fut-elle relativement raisonnable, du moins au début, car elle dérapa bien vite, sur un mot anodin prononcé par Logarithme.

Ce dernier venait d'émettre l'idée qu'il avait la vague impression d'avoir déjà vécu un moment semblable à celui-ci. La Belle Monogramme ne s'offusqua pas de cet aveu naïf mais convint qu'elle aussi, bizarrement, ressentait les premières atteintes d'étranges réminiscences et qu'il lui semblait bien, dans une vie antérieure, ou dans un passé lointain, avoir partagé le secret des cartes avec un partenaire qui, en y réfléchissant bien, ressemblait fort au Prince Logarithme. « Comme c'est étrange ! dit ce dernier. Je me dis à présent que ta tête ne m'est pas inconnue. » La Belle Monogramme roucoula un superbe rire de gorge. « Ma tête seulement, mon doux ami ? Ces paroles ne sont point galantes. » « J'ai dit tête pour ne pas être graveleux, rétorqua Logarithme. Mais franchement, je crois que nous nous sommes déjà vus quelque part. » « Oui, convint Monogramme. Et c'est extrêmement curieux. J'en suis même à me demander si nous n'avons pas vécu ensemble. » « Comme c'est étrange, comme c'est bizarre et quelle coïncidence, fit Logarithme. J'ai la même certitude. Nous avons partagé la même salle de bains. Et le même lit. Et autre chose, par la même occasion. » La Belle Monogramme réfléchit intensément, ce qui lui colla un soudain et violent mal de tête -les Princesses de conte de fée n'ayant pas pour habitude de se servir de leur cerveau avec une telle frénésie. « Je suis au bord de la révélation, annonça-t-elle quelques instants plus tard. Encore cinq minutes, et c'est l'Apocalypse. Je sens que ça vient, ça vient... » Pendant ce temps, Logarithme, qui s'en tenait à son rôle de Prince Charmant destiné uniquement à charmer, avait saisi un recueil de mots croisés et tentait de faire rentrer quelques mots dans les cases, sans trop prendre garde d'ailleurs aux définitions. Près de lui, la Belle Monogramme réfléchissait tellement qu'un rideau de fumée avait fini par l'envelopper, la dissimulant totalement aux yeux de Logarithme. « Comme c'est curieux, comme c'est étrange et quelle coïncidence ! fit la voix de Monogramme. Je crois que j'ai trouvé. Titanic ! » Le Prince charmant releva la tête de ses mots croisés. "Non, dit-il, ça ne tient pas dans les cases. Trouve autre chose. » Et tout à coup, la Princesse poussa un hurlement triomphal et se redressa. « Mais oui, c'est ça ! Titanic ! » « Je te dis que non, affirma Logarithme. Ne sois pas entêtée, tout de même ! » « Laisse tes mots croisés et écoute-moi », répliqua Monogramme en saisissant le recueil qui alla s'écraser à l'autre bout de la chambre. Le Prince Charmant poussa un barrissement de mécontentement, mais sa bien-aimée ne lui laissa pas le temps d'exprimer clairement son courroux.

« Titanic, c'est le film que nous sommes allés voir la dernière fois que nous sommes sortis ensemble, dit Monogramme. Nous nous étions disputés comme des chiffonniers avant parce que tu voulais voir... oui, enfin, bref, le problème n'est pas là. Tu avais garé la voiture dans une impasse. Et lorsque nous sommes arrivés devant elle, j'ai reçu comme un coup sur la tête et j'ai perdu connaissance. Je me suis réveillée seule et amnésique. Tu avais disparu et j'avais même oublié ton existence ! » Le Prince écoutait ce rappel des faits d'une oreille attentive ; la lumière de la vérité pénétra soudain jusqu'au fond de sa cervelle. « Non d'un chien, c'est vrai ! s'exclama-t-il. Je me suis retrouvé dans ce château pourri, sans savoir d'où je venais et qui j'étais ! » « Et tu sais la meilleure ? continua Monogramme, décidée à se souvenir de tout dans les moindres détails. C'est certainement un coup de notre voisine de palier, celle qui se faisait passer pour une étudiante alors qu'elle avait l'âge de prendre sa retraite. Ce devait être la sorcière du Château d'Onyx noir déguisée ! Elle n'arrêtait pas de nous espionner et de nous embêter ! » « Mais tu as mille fois raison ! s'écria Logarithme, transporté. Ah, ma Princesse, dans mes bras ! » Et Monogramme sortit à toute allure les cartes de leur étui.

Par un hasard extraordinaire, Marsupilania, Multimédia, et Myxomatose parvinrent sans -trop- d'ennuis au salon. La seconde était bien fatiguée parce qu'elle trimballait son écran d'ordinateur décédé depuis des kilomètres, mais refusait obstinément de le laisser dans un coin, arguant qu'il était sous garantie et qu'on devait le lui changer gratos. « Ne compte par sur moi pour te le porter, avertit Myxomatose avant même que la pauvre Multimédia n'eut ouvert la bouche pour réclamer un peu de compassion. J'ai mal au bras et les lombaires en compote. Débrouille-toi toute seule. Ou adresse-toi à notre Vaillante amie. » « Ma religion m'interdit tout effort de ce style, affirma Marsupilania. De même que mes plus intimes convictions. Assume. » Et la malheureuse Multimédia en fut quitte pour continuer d'ahaner sous le regard indifférent de ses deux compagnons.

L'arrivée au salon coïncida avec le moment où la partie de cartes recommençait de plus belle au premier étage. Alors que nos trois héros allaient l'une s'avachir dans un fauteuil, l'autre se laisser tomber sur le divan et la troisième poser son écran d'ordinateur sur la table, la voix de la Belle Monogramme s'éleva, suraiguë et triomphante, annonçant qu'elle « avait les trois bouts et que ça allait chauffer grave. » « Pour que nous entendions aussi distinctement ses paroles, dit Marsupilania, ça veut dire qu'elle hurle comme une cinglée. Je me demande bien pourquoi, d'ailleurs. Les tarots sont un jeu très ennuyeux, au fond. » « Tout dépend de la manière dont on y joue, affirma Myxomatose, docte et souverain. Vous croyez que ça va durer longtemps ? » ajouta-t-il. Marsupilania et Multimédia échangèrent un regard entendu puis, d'un même mouvement, sortirent un livre de leur poche. « Autant se cultiver en attendant la fin de la partie », murmura Multimédia en ouvrant Guerre et Paix. De son côté, Marsupilania avait entamé pour la soixante dixième fois la relecture d'Autant en emporte le vent ; il ne restait plus à notre Chevalier Masqué qu'à se choisir un ouvrage parmi ceux qui jonchaient la table du salon. L'Astrée lui parut convenir le mieux à la situation et le silence tomba sur le salon.

Nos héros étaient parvenus à la page finale lorsque la porte s'ouvrit et le couple Princier apparut sur le seuil, main dans la main. « Debout tout le monde ! claironna Monogramme. Le conte est quasiment fini et tout est rentré dans l'ordre. Pas grâce à vous, en tous cas ! » Et comme personne ne lui répondait, elle s'empara des livres un à un et les jeta par la fenêtre.

(Le conte est-il vraiment terminé ? Ne faut-il pas encore expliquer certains éléments qui restent encore mystérieux ? Et les aventures de nos héros vont-elles se limiter à un simple apprentissage de la meilleure façon de jouer aux tarots ? Quant à Gudule, est-elle réellement et définitivement vaincue ?...Imaginez qu'il y ait un rebondissement de dernière minute... Réponse lundi, sans faute.)