ce qui n’apparaissait depuis plus de six mois que comme une simple menace
Dès les premiers instants suivant l’annonce de cette information, des sentiments d’inquiétude et de stupeur ont fusé de l’Union Africaine, de la Ligue Arabe, et même de la part de certaines grandes puissances telles la Russie ou la Chine. Pendant que pour leurs parts, la France et les Etats-Unis enjoignaient - ni plus ni moins – au Président soudanais… d’aller se rendre gentiment !
Ce qui a certainement amené le Président El Béchir à voir derrière le mandat d’arrêt un complot néocolonialiste. Pas moins !
Après que la CPI ait lancé son mandat d’arrêt international contre le Président Omar El Béchir, la réaction ne s’est pas faite attendre du côté de Khartoum où de spectaculaires mouvements de soutien populaires embrasent des quartiers entiers chaque jour, avec comme cerise sur le gâteau la posture du président du Soudan qui a décidé de ne faire aucun cas de ce mandat qui, selon le numéro un soudanais, n’est « qu’un complot néocolonialiste. Le Soudan est attaqué, la CPI n’est qu’un instrument de cette guerre. »
Moins de 48 heures après l’annonce de cette inculpation, l’Union Africaine a réuni, tambour battant, une session extraordinaire à Addis Abeba au cours de laquelle le Conseil de Paix et de Sécurité de cette institution, appelant le Conseil de Sécurité à la suspension de cette mesure, a exprimé ses inquiétudes quant à l’impact de cette initiative qui se veut judiciaire par rapport aux efforts de paix en marche au Darfour.
Et c’est tout légitimement que l’Union Africaine se demande si ce mandat d’arrêt ne va pas exacerber les passions au Soudan, et surtout au Darfour.
Une préoccupation qui, en tout cas, a tapé dans le mille puisque, dans la foulée du lancement de ce mandat d’arrêt, le MJE qui venait pourtant de signer des accords de cessez le feu avec Khartoum le 15 février dernier, a spectaculairement fait volte face, estimant « ne plus être lié à quelqu’un qui n’a plus aucune légitimité ».
Voilà déjà un premier pas vers une escalade d’un autre genre au Soudan, et de l’avis de certains observateurs, démontre que le lancement de ce mandat d’arrêt est moins innocent que l’on ne pourrait le penser.
Quoiqu’il en soit, la Russie n’a pas hésité à qualifier de « dangereux précédent » ce mandat d’arrêt lancé à l’encontre d’un chef d’Etat en fonction.
Un dangereux précédent
Quant à la Ligue Arabe, elle n’a pas fait mystère de son trouble, évoquant « les conséquences dangereuses pour la paix ». La soudaine volte face du MJE illustre certainement de façon claire et nette les craintes de la Ligue Arabe.
L’Union Africaine, avant cela, à travers la voix de M. Jean Ping estime que ce mandat d’arrêt « tombe à un mauvais moment. Il faudrait éviter que le souci de justice ne mette pas les perspectives de paix en péril. »
Mais le plus révoltant demeure cette position de la France qui demande au Soudan de « coopérer » avec la CPI. La France qui n’accepte aucune justice sauf la sienne propre, et qu’on a vu aller chercher des français incarcérés aux quatre coins du monde, même ceux condamnés pour des délits de droit commun pour les ramener en France « … purger leurs peines ».
On a notamment vu Nicolas Sarkozy foncer personnellement ventre à terre jusqu’à Ndjamena pour aller « cherche et ramener » des escrocs de l’aide humanitaire, reconnus jusque dans l’hexagone, qui avaient été arrêtés et condamnés à Ndjamena.
De même, les médias français sont en train de s’adonner à une véritable masturbation médiatique depuis quelques jours en faveur d’une française convaincue de kidnapping et de détention d’armes au Mexique où elle a été condamnée à 96 – puis à 60 ans de prison - pour cette hors-la loi, Nicolas Sarkozy en visite au Mexique, s’apprête à rééditer le coup de Ndjamena.
C’est le même Sarkozy, qui ne supportant pas de voir un français jugé hors de la France, demande à un président de la république, et même à tout un peuple, d’accepter une procédure rendue hors de son territoire, et par des magistrats qui en ont fait plus qu’un présumé coupable, un coupable de fait.
Ne parlons pas des Etats-Unis qui ne reconnaissent même pas la compétence de la CPI, et qui n’acceptent pas non plus qu’un Américain soit jugé, ni par la CPI ni par quelque juridiction étrangère que ce soit. Voilà donc ces Etats-Unis qui demandent au gouvernement soudanais… de faciliter l’exécution du mandat d’arrêt de la CPI...
Oubliant certainement que les Marines de son armée coupables de tortures diverses en Irak avaient tout simplement été ramenés aux Etats-Unis pour jouer les figurants dans de simulacres de procédures judiciaires.
Mais du côté de la CPI, et cette version est merveilleusement exploitée à travers un véritable battage médiatique, la décision est prise : Omar El Béchir doit être « arrêté, jugé et condamné. »
Voilà la position de la porte-parole de cette instance qui a précisé pince sans rire « le gouvernement soudanais doit collaborer, et s’il n’exécute pas ce mandat, le Conseil de Sécurité s’en chargera ».
Une menace d’intervention militaire – du genre de celle qui a culbuté Saddam Hussein – à peine voilée.
Aucune enquête faite au Darfour
Mais une menace qui est un véritable défi au bon sens. Ce serait comme si l’on avait demandé au gouvernement Américain de livrer George Bush à la CPI au plus fort de la guerre en Irak !
Mais sur quoi repose donc cette inculpation du procureur O Campo ? « … j’ai plus de trente témoins » hurle le magistrat argentin qui – et il faut le préciser – ne s’est jamais rendu au Darfour pour enquêter.
« Mais cela ne l’a pas empêché d’aligner pas moins de sept chefs d’accusations dont : les meurtres, viols, tortures, crimes de guerre, pillage, etc… »
Une compilation de motifs d’inculpation qui semble avoir pris du volume pour la simple raison que l’accusation de génocide n’a pas été établie. Mais on peut toujours se demander quelle autre inculpation a réellement été corroborée dans la mesure où aucune commission d’enquête de la CPI ou même judiciaire ne s’est jamais rendue au Darfour à ce jour.
C’est certainement au vu de cette espèce de diabolisation forcenée que le président du Sénégal, Me Abdoulaye Wade, n’a pas eu froid aux yeux pour déclarer publiquement, au cours d’une conférence de presse tenue à Dakar le 03 mars, en présence du Chef du gouvernement Finlandais, que « la CPI ne poursuit que les africains ».
Un point de vue qui a certainement fait sursauter les tenants de la bien-pensance juridique, mais que le président sénégalais a justifié : « le Sénégal est le premier pays africain à avoir signé l’accord instituant la CPI, a-t-il dit froidement, mais nous avons l’impression que ce tribunal ne juge que les africains alors qu’il faut juger tous les criminels présumés partout où ils se trouvent dans le monde. » Difficile de ne pas souscrire à ce révoltant, mais pourtant indiscutable constat.
Une justice qui ne s’occupe que des noirs
Car on dira tout ce qu’on voudra, mais la CPI, depuis le démarrage de ses procédures en 2002, ne s’est jamais occupé que des nègres et de l’Afrique. En effet, depuis septembre 2004, seulement quatre enquêtes ont été ouvertes par cette juridiction à propos de crimes commis en République Démocratique du Congo (RDC), en Ouganda, au Soudan (Darfour) et en République Centrafricaine. Trois de ces procédures ont été déclenchées à la demande des gouvernements concernés (Ouganda, République démocratique du Congo et République centrafricaine), la quatrième (Soudan) ayant été déférée à la Cour par le Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ce qui en fait, bien entendu, une affaire absolument particulière.
Par ailleurs, des mandats d'arrêt International ont été délivrés dans le cadre des situations en Ouganda, contre les dirigeants de l'Armée de résistance du seigneur, en RDC contre MM. Lubanga, Katanga, Ngudjolo et Bosco Ntaganda, en Centrafrique M. Bemba ainsi qu'au Soudan, le chef de l’Etat soudanais ainsi qu’un présumé chef de milice Djanjawid.
A ce jour, quatre personnes sont détenues dans les geôles de La Haye : M. Lubanga, M. Katanga, M. Ngudjolo, M. Bemba. Elles sont toutes originaires de RDC.
Le premier procès de la Cour, contre M. Thomas Lubanga Dyilo accusé de conscription forcée d'enfants en RDC, devait débuter dans le courant de 2007. La Chambre préliminaire avait en effet confirmé les charges qui pesaient contre lui lors de la première audience de confirmation des charges retenues par la Cour en novembre 2006, renvoyant ainsi l'affaire à la Chambre de première instance.
Néanmoins, en juin 2008, la Chambre de première instance a suspendu la procédure et ordonné la libération de Monsieur Lubanga en raison de la non production par le procureur de pièces pouvant bénéficier à la Défense. Sur appel du procureur, la Chambre d'appel a confirmé la décision de la Chambre de première instance, mais a infirmé sa décision ordonnant la libération immédiate de Monsieur Lubanga. La Chambre d'appel n'a cependant pas évoqué la demande de libération de Monsieur Lubanga et a demandé à la Chambre de première instance de statuer à nouveau sur la demande de libération conformément à la motivation de son arrêt. Depuis, le Procureur a demandé à la Chambre de rouvrir les débats en produisant un certain nombre de pièces. La Chambre, en dépit de cette gestion dilatoire, prend tout son temps pour « examiner » cette requête, et n'a pas encore pris une décision sur une éventuelle reprise du procès. Elle n'a pas non plus statué sur la demande de libération de Monsieur Lubanga. Voilà donc comment la justice est rendue devant la CPI où l’on s’empresse d’emprisonner les justiciables, avec pour règle de les maintenir en prison même quand cela ne s’impose pas.
Une deuxième procédure a atteint la phase de jugement. Par décision du 26 septembre 2008, la Chambre préliminaire n°1 avait renvoyé Messieurs Katanga et Ngudjolo devant une formation de jugement. Il s'agissait du deuxième procès devant la Cour. Celui-ci a été renvoyé devant une nouvelle Chambre de première instance présidée par le Français Bruno Cotte. Le dossier est en cours d'instruction, et aucune date d'audience de jugement n'a été fixée.
Une justice universelle à imposer à tous
La Chambre préliminaire n°3 devrait également se prononcer après une audience qui devait se tenir en décembre 2008 relativement au renvoi devant une Chambre de première instance pour le jugement de Monsieur Bemba.
Plusieurs autres affaires sont en cours d'analyse pour une éventuelle ouverture d'enquête. Depuis que la Cour a débuté ses activités, le 1er juillet 2002, plusieurs centaines de plaintes ont été déposées.
Au-delà de ce constat qui laisse franchement dubitatif quant à la compétence, que l’on peut à loisir estimer être dirigés contre les nègres et l’Afrique, on peut sérieusement se poser des questions sur l’impartialité et même l’objectivité de ces juridictions internationales que l’ONU et le Conseil de Sécurité ont certes la volonté d’instituer, mais qui ne pourront, avant longtemps, que servir pour frapper les petits pays, tout en épargnant les grandes puissances.
Car tant que tous les pays de la planète ne seront pas soumis à une cour véritable universelle, il sera hors de question qu’on lui accorde la plus petite préoccupation de légalité.
Tant qu’Israël se permettra de bombarder le peuple Palestinien – en faisant des milliers de morts – sans que la justice – ou ce qu’on se complait à qualifier d’opinion internationale – ne puisse sanctionner cette super puissance, pourra-t-on parler de juridiction légale à laquelle il faut se plier à tout prix ?
La CPI a été crée, nous dit-on, pour promouvoir le droit international, et son mandat est de juger les individus, et non les Etats. Ce dernier aspect étant du ressort de la Cour Internationale de Justice.
Mais peut-on dire que, même seulement depuis 2002, la Cour Internationale de Justice n’a pas encore trouvé le prétexte ou suffisamment de raisons pour juger la Russie pour les atrocités de l’Ossétie, les USA pour Irak et l’Afghanistan, ou tout simplement Israël ?
Et parlant d’Israël, après les bombardements et les massacres de Gaza, ne voilà-t-il pas qu’un conglomérat de « pays donateurs » s’est réuni tout récemment aux fins de cotiser de faramineuses sommes d’argent pour « reconstruire Gaza ?
Comme si ces destructions avaient été causées par … une catastrophe naturelle !
En vérité beaucoup de personnalités se posent sérieusement la question de savoir si réellement la CPI recherche la paix au Soudan. Ces personnalités se demandent même si ce n’est pas sciemment que les grandes puissances militaires s’attèlent à organiser la déstabilisation du régime soudanais afin que s’installent – comme on le voit aujourd’hui en Irak – des conflits armées qui feront tourner à cent à l’heure l’industrie des armes qui a bien besoin de guerres et de conflits afin que les armes et les munitions s’achètent.
Il est vrai que le monde entier a besoin d’une justice universelle qui frappe tout criminel, mais comment faire pour instaurer cette forme de justice et l’imposer à tous les pays sans exception ?
Le Darfour a certes besoin de justice, et il serait absolument nécessaire que tous ceux qui y ont commis des crimes soient jugés et châtiés ; à savoir le président tchadien Idriss Deby, le principal commanditaire de la crise du Darfour qui a soutenu et organisé toutes les rébellions soudanaises, mais le Soudan a encore plus besoin de paix.
Et ce n’est certainement pas le mandat d’arrêt lancé par la CPI qui instaurera la paix au Soudan. Loin s’en faut.
Il urge donc que les grandes puissances du monde – quoiqu’elles ne sont, de toutes façons, pas soumises à la compétence de la CPI – examinent et revoient ce qui se passe au Soudan aujourd’hui à la suite de ce mandat qui risque de faire sauter la poudrière. A défaut de cela, ce qui pourrait se produire au Soudan pourrait tout simplement dépasser l’Irak et la Somalie réunis.
Par A.K de Ndjamena-matin
Vendredi 06 Mars 2009 / Alterinfo [email protected]