Carole Zalberg, La mère horizontale
Impressions de lecture de Bérénice Baranger, une amie très chère.
"Tiens donc. Il y a dans cette écriture quelque chose de vaguement « goûtu » qui me fait lever le nez du livre (comme la musique fait sa pause), tandis que j’essaie de déchiffrer sa saveur comme
si les mots appartenaient au domaine confus des odeurs, pour lequel nous sommes si peu doués que nous tâtonnons dans les ténèbres de la pensée. Est-ce fruité ? Un peu amer ? J’identifie alors une
première composante, très nette : la voix de la lectrice, par qui j’ai tout d’abord entendu ces cadences. Cette voix ne lâchera jamais C. Zalberg, c’est maintenant impensable : les accents
ingénus et complices, suaves et cyniques d’une voix bien particulière lui sont attachés pour toujours, en ce qui me concerne. C’est ça, une lecture : un contexte aussi, et des circonstances. Mais
cette voix qui persiste s’incruste car elle a servi en experte la tonalité des phrases qu’elle révèle même après s’être tue. Qu’y a-t-il dans ce plat, bon sang, de familier et si particulier ? Le
parfum d’une innocence, oui, avec un soupçon d’infinie distance. L’un est de l’enfance, l’autre d’extrême vieillesse et désabusement -- qu’il y ait pardon ou non. L’entremêlement donne un monstre
sensoriel du genre sucré salé – saveur des plus ardues à définir. On dirait une âme vieille avec un cœur de môme. Une maturité qui n’oublie rien des failles sur lesquelles elle s’est érigée, qui
sait que la famille est une prison et qu’il n’y a de ce déterminisme d’évasion que par la pensée – quitte à refaçonner sa vie comme l’on peut à cette lumière... S’il y a méchanceté, c’est celle
du hasard, ou celle que l’on a eu jadis : celle de l’enfant quand il rejette, celle de l’aïeule quand elle radote. S’il y a tendresse, elle est soit perdue soit blessée, mais elle s’accroche :
celle de l’enfant qui croit toujours, celle du vieillard devenu nostalgique. Au milieu l’âge adulte accompli, qui serait lucide et fort et si fier de son libre arbitre, n’apparaît comme une
rémission possible qu’au travers de la narratrice. Problématique qui conduit droit aux tréfonds du livre, ce méli-mélo intergénérationnel. Une mère horizontale pour une écriture verticale,
tissant au petit bonheur des réminiscences les malheurs d’une famille brouillée où les mères le sont si peu, où les pères s’absentent comme des images d’ancêtres effarouchés, où les filles pour
finir sont mères d’engendrer la répétition des partitions insolubles de l’enfance. Dans ce brouillage l’écriture ambiguë et instable de l’auteure est la seule obstination à trouver une
rédemption, une compréhension, une issue. Un fil qui permet de sortir de nos labyrinthes… Ariane en muse de l’écriture… Or le monstre que l’on a traqué à chaque page, qu’est-il d’autre que notre
cœur d’enfant ?"
Je suis ravie d'avoir été une des causes de cette très belle lecture. Voyez : il faut absolument lire La mère horizontale et Et qu'on m'emporte.