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“Avant-poste” d’Emmanuel Parraud

Par Adelinew

« Le public ne sait pas ce qu’il vient chercher. Il vient, c’est tout… » fait dire Andrej Zulawski à Romy Schneider dans « L’important, c’est d’aimer ».
J’ai toujours voulu prendre cette phrase au premier degré. Faisons ce qu’il me plaît, comme il me plaît et si j’arrive à ça, à garder ce plaisir, alors le film rencontrerait son public.
Enfant, les films que l’on avait décidé de me montrer m’emmerdaient. J’ai vite tourné la page. Ce n’est qu’à 22 ans, que je me suis décidé à pousser la porte d’une salle de cinéma. Je ne savais pas ce que je voulais en poussant cette porte. Je ne l’ai fait que parce que j’étais honteux d’être un demeuré pour avoir avoué au détour d’une conversation que je ne connaissais pas Marilyn Monroe, ni sa personne, ni son nom. Et quelque chose s’est passé. Quelque chose que je ne saurai pas décrire, mais qui s’est passé justement parce que je n’attendais rien.
C’est à ce public que je m’adresse, celui qui ne sait pas (?)
En tout cas voilà le point de départ de quelqu’un qui vient de finir un premier long-métrage. « Avant-poste ». Un point de vue sans doute mal placé, angélique ou prétentieux. Mais nous verrons bien, chemin faisant, si le chemin se fait un jour. Quand ? L’affaire traîne depuis plus de 6 mois. Le producteur a fait faillite. Les droits d’exploitation du film sont dans la nature. Les labos rechignent à lancer les dernières opérations de fabrication ne sachant pas s’ils seront jamais payés. Moi-même je ne sais pas non plus (dans tous les sens). Et le marathon dure depuis longtemps. Aussi la question du public est encore bien loin de moi.

"Avant-poste", image du film

Le 12 Novembre 2008, à 16 heures, le film est projeté en avant-première (en avant-dernière ?) au Festival de Vendôme. Dans la salle, je compte une petite centaine de personnes, une majorité de lycéens (captifs ?), peu d’adultes, peu de connaissances. C’est la première fois que je vois le film terminé, en 35MM. L’écran mesure 10 mètres à la base. Des plans qui me semblaient peu lisibles au montage prennent ici un sens. Le rythme aussi change. Je me dis que souvent ça va trop vite, qu’on n’a pas le temps de voir que déjà on passe au plan suivant. Au bout de 20 minutes je ne sais plus ce qui va et ce qui ne va pas…
1 heures 26 plus tard, nous avons une demi-heure pour échanger. J’attends la première question, droit dans mes bottes. J’attends un truc du style : « Pourquoi le cinéma français est-il aussi mauvais ? ». On m’a déjà posé cette question dans des rencontres « Lycéens et cinéma » en Picardie ; ça m’avait laissé sans voix… Cette fois j’ai préparé. Ma réponse sera agressive : « Parce que tu le vaux bien ! »… ou bien professionnelle : « Public, tu es victime de la propagande de Canal +, UGC, Gaumont, Pathé et consorts qui ont tous passé des contrats d’association et d’exclusivité avec les plus grosses firmes américaines. Ca leur coûte cher, alors ça doit leur rapporter gros. Alors tant pis pour le cinéma français ». Socio-historique : « Les Français adorent se dénigrer, se mésestimer, ça permet de garder son orgueil intact… ». Penser à compléter tout ça d’une touche personnelle (plaintive de préférence) : « …et moi aussi j’adore ça, moi non plus je n’aime pas ce que je fais »…
La première question n’est pas une question, mais une remarque. Une lycéenne me parle de bulle. Paul mon personnage s’enfermerait dans une bulle. Toute la mise en scène raconterait ça, cette tentative foirée de s’abstraire hors du monde occidental et de son écheveau de problèmes sans solution…
Un lycéen me parle de trouble. Trouble du personnage, mais aussi volonté du film de semer le trouble dans nos attendus… Hitchkcok disait qu’il vaut mieux partir du cliché qu’y arriver… J’enchaîne sur mon désir de donner une forme à vingt années passées à Vaulx-en-Velin, ville de la banlieue lyonnaise, ville de Khaled Kelkal* et des émeutes du début des années 90, de l’anomie du côté des adolescents et des éducateurs… C’est déjà fini, la séance suivante doit commencer, il faut partir. Qu’est-ce que j’ai dit ? Comment ? Je voudrais retirer des phrases de vendeur de bibles, mais c’est trop tard…
En remontant les marches, trois jeunes filles discutent devant moi. A priori un public de film de “prime time”. On se parle entre deux portes. Elles ont été émues par la mère de Fifi. Cette mère ressemble à la leur, une trentenaire maghrébine ordinaire, pas une “bledarde”.
Peut-être que le film n’est pas si obscur que ça.
Ca me fait penser au montage de mon premier film, quelque chose produit avec le GREC, entre sentiment de nature et d’enfance. J’avais pour voisin de salle le réalisateur d’un film d’archives sur les Jeux olympiques de Grenoble de 1968. Je cherchais un public pour visionner l’ultime version du montage. Je lui demandais. La bobine passée, il se tourne vers moi : « tu as raison, tant qu’à faire autant enfoncer la seringue à fond ».
Déjà mort ?

Emmanuel Parraud, février 2009

* Khaled Kelkal (1971-1995) était un terroriste français d’origine algérienne membre du GIA et l’un des responsables de la vague d’attentats commise en France à l’été 1995. Il est abattu par les gendarmes le 29 septembre 1995 près de Lyon.


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