Pour un art poétique
I
Un poème c’est bien peu de chose
à peine plus qu’un cyclone aux Antilles
qu’un typhon dans la mer de Chine
un tremblement de terre à Formose
Une inondation du Yang Tse Kiang
ça vous noie cent mille Chinois d’un seul coup
vlan
ça ne fait même pas le sujet d’un poème
Bien peu de chose
On s’amuse bien dans notre petit village
on va bâtir une nouvelle école
on va élire un nouveau maire et changer les
jours de marché
On était au centre du monde on se trouve maintenant
près du fleuve océan qui ronge
l’horizon
Un poème c’est bien peu de chose
II
Adieu ma terre ronde
adieu mes arbres verts
je m’en vais dans la tombe
dire bonjour aux vers
tout poète à la ronde
peut saboter un vers
moi j’éteins la calbombe
et m’en vais boire un verre
III
Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu’on les aime
pour écrire un poème
on sait pas toujours ce qu’on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d’autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kèkchose d’extrême
un poème
Raymond Queneau, Si tu t’imagines, dans Œuvres complètes, I, édition établie par Claude Debon, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1989, p. 105-106.
Contribution de Tristan Hordé