Cela fait un bon bout de temps que je souhaite vous parler de ce sujet. Ne vous y trompez pas, avec ce billet, je ne souhaite pas dénoncer un système, juger le libéralisme, le capitalisme ou bien même les excès de la finance. Il s'agit là d’introduire le débat sur ce qui pourrait rapidement devenir une crise de subprimes bis. Le billet est long et probablement chiant à lire mais qu'importe.
Depuis plusieurs semaines maintenant, j’observe avec attention les publications des documents comptables des sociétés cotées. C'est comme une sorte de réflexe, une veille indispensable à tout bon investisseur ou blogueur un temps soit peu intéressé par la chose économique. Au début, il s'agissait de mesurer petit à petit l'impact de la crise financière dans les comptes des entreprises, un moyen comme un autre de se faire une idée de l'impact réel et d'en déduire la durée de cette crise économique.
Le constat
Tout a commencé avec l'analyse des comptes publiés par la Société Générale le 18 février 2009 et "sanctionné" par ce billet ici même. Je faisais alors état de mon étonnement relatif à propos d'une manipulation comptable permettant de gonfler artificiellement le résultat de la banque de 600 millions d'euros à 2 milliards d'Euros. Depuis cette date, d'autres ont suivi: Le Crédit Agricole a ainsi reclassé 12 milliards d'euros d'actifs, BNP Paribas a appliqué la procédure sur près de 7,8 milliards d'euros, le nouvel employeur de François Pérol ne s'est pas privé, lui non plus, de reporter à plus tard l'enregistrement des dépréciations de ses actifs pourris. Natixis s'est ainsi offert un bol d'air de près de 12 milliards d'euros en mettant volontairement sur la touche environ 30 milliards d'euros d'actifs pourris. Ne vous y trompez pas, sans cela, c'était la faillite assurée. Tout cela vous paraît obscur ? C’est normal. Et pourtant, figurez vous que c’est complètement légal, il ne s’agit en fait, que de la mise en œuvre d’un amendement de la norme comptable internationale appelée IAS39.
C'est quoi cet IAS39 ? A quoi ça sert et comment ça marche ?
Comment j'avais tenté de vous l'expliquer dans mon précédent billet, la norme IAS39 désigne une règle comptable. Ces règles sont émises par l'IASB, un organisme international. Ces normes encadrent donc les activités comptables partout dans le monde. L'IAS 39 est donc une règle comptable. Dans les faits, elle s'attache, avec la norme IFRS 7 (autre texte) à encadrer la "re-classification des actifs financiers". Pour la faire simple, sans tomber non plus dans la démagogie et la caricature, il s’agit là de désigner les comptes de destination de diverses opérations comptables. Votre entreprise possède des titres qui ont été shootés sur les marchés financiers ? Objectivement vous n’y êtes pour rien et pourtant c’est bien votre résultat comptable qui peut être considérablement impacté par cette dépréciation. Cette norme fut donc mise en place pour encadrer ce type de situation (entre autre). Son histoire se divise en deux périodes. La première débute en 1997. Selon ce document officiel, l'IAS39 était alors souhaitée par les instances internationales. Les entreprises elles, ne souhaitaient pas voir cette norme mise en place au titre de sa dangerosité. Jusqu’à 2008, c’était donc la norme IAS39, fruit d’un compromis entre les deux parties qui régulait le reclassement d’actifs financiers.
Pour plus de détails, je ne peux que vous recommander la lecture de ce rapport publié en 2003 qui détaille à merveille les tenants et les aboutissants de l’affaire.
IAS 39, accélérateur de crise ?
L’an passé, tout change. La crise financière importée des US fait tâche d’huile sur tous les marchés mondiaux. Des milliards d’Euros d’actifs deviennent « pourris », la titrisation outrancière a réparti le risque « subprimes » un peu partout dans les comptes des banques et des établissements financiers mondiaux. Ces derniers se retrouvent avec des pertes gigantesques et l’obligation, de par la norme IAS39, d’enregistrer à « la juste valeur » ces actifs dépréciés. Le problème, c’est que l’enregistrement « à la juste valeur » impacte directement l’équilibre du Bilan des établissements financiers mondiaux les poussant à la recapitalisation quasi automatique (Apport d’argent frais dans les fondations de l’entreprise). En plein milieu de la crise financière, l’IASB revoit donc sa copie et amende les normes IAS39 et IFRS7 en offrant la possibilité à toutes les entreprises du monde de « reclasser » une partie (et une partie seulement) de leurs actifs dépréciés. En d’autres termes, il est désormais possible d’ignorer une partie de ses actifs dépréciés, de publier ses résultats de fait « non impactés » par ces pertes pourtant réelles …
Amendements IAS39 et IFRS7 : quelles conséquences ?
Suite à ces modifications, les conséquences sont plurielles. Elles sont bénéfiques, tout d’abord. Car cet amendement a bloqué les faillites en cascade que l’on aurait pu objectivement craindre avec le texte précédent. Sans ce changement de point de vue de l’IASB, les recapitalisations de banques auraient pus être d’un tout autre calibre et les faillites de banques, bien plus nombreuses.
Mais ce changement de cap introduit une interrogation légitime sur la capacité à venir des établissements financiers à liquider les actifs pourris ignorés aujourd’hui… Pour reprendre les chiffres avancés en début de billet, la Société Générale, BNP Paribas, Natixis (et donc le tout nouveau groupe créé, fusion de Caisse d’Epargne et Banques Populaires) ou encore le Crédit Agricole disposent toutes, quelque part, bien cachés au fond du Bilan, de plusieurs milliards d’actifs pourris, directement ou indirectement descendants des subprimes.
Quid de l’avenir des actifs aujourd’hui oubliés ? Seuls quelques spécialistes, bien mieux renseignés que moi pourraient le dire. A vrai dire je ne sais pas. J’entrevois deux possibilités. La première, la plus optimiste, se dénoue dans le cadre d’une reprise économique marquée, redonnant un peu de pep’s à nos banques capables alors de liquider, dans le flux de leurs profits, tout ou partie de leurs actifs « pourris ». Le second scénario, bien plus noir, imagine une persistance de la crise économique dans le temps. Dans cette situation, quid de la situation des nos banques ? Un jour ou l’autre, il faudra bien se résigner à enregistrer ces pertes !
Telle est l’histoire de cette norme IAS39, sauveur de crise, bouffée d’oxygène pour les établissements financiers de ce monde, bouée de sauvetage pour les comptes et l’épargne des millions de ménages mais aussi légalisation discrète d’une nouvelle dérive financière.
La crise n’est pas encore finie que nos banques cachent déjà le véritable volume de leurs pertes. Il nous faut poser des questions pour pouvoir réclamer des réponses.