Personnage incontournable de la nouvelle scène musicale française, Tété teste en ce moment les chansons de son nouvel album (le quatrième) dans le cadre d'une mini tournée intitulée "Labo Solo Tour" qui le conduira à Cast (arrière-pays de Châteaulin) samedi 7 mars. Dans l'entretien qui suit, le songwriter évoque naturellement ses projets, mais revient aussi assez longuement sur son parcours, et notamment sur sa participation à l'émission de télé "Tété ou Dédé", tournée aux Etats-Unis, au côté d'André Manoukian, l'an dernier.
Titus - Vous ferez halte à Cast le samedi 7 mars dans le cadre de votre mini tournée du Labo Solo Tour. Pouvez-vous nous éclairer sur ce concept ?
On l’a appelé comme ça cette fois-ci mais c’est quelque chose que j’ai fait avant chaque album, quand je suis en période d’écriture. C’est une sorte de laboratoire. J’aime bien, au fur et à mesure, pouvoir tester les morceaux sur scène. Ca permet de mieux les apprivoiser avant d’entrer en studio…
Titus - Comme son nom l’indique, cette tournée s’effectue en solo. Cela est-il une indication que le prochain album sera particulièrement acoustique, même si le précédent, l’était déjà beaucoup ?
C’est exactement ce que j’allais dire. J’ai toujours fait en sorte de garder une touche acoustique sur chacun de mes albums. J’ai toujours aussi écrit des morceaux guitare-voix, donc je pense que le prochain album sera dans la continuité des précédents. Au gré des rencontres, des collaborations, je trouve ça intéressant d’intégrer de nouvelles choses…
Titus - Le fait de tester vos nouveaux morceaux en spectacle vous amène-t-il à les faire évoluer ?
Oui, ça permet de voir si la tonalité va, si le tempo va, des choses comme ça.
Titus - Quand prévoyez-vous d'entrer en studio pour enregistrer ces chansons ?
Ça se précise. Ça va soit se faire en parallèle de mes concerts, par salves successives, soit au terme de la tournée. En fait, je vais tourner jusque début juillet. Il y a 25 dates de prévues en France, en Belgique. Et en juin, je vais tourner aux Etats-Unis deux semaines.
Titus - Avez-vous une petite idée de l'équipe qui vous entourera et du lieu où tout cela se fera ?
Je m’efforce toujours de me concentrer sur l’écriture des morceaux avant de penser au reste. Parce qu’on a beau bosser avec les meilleures personnes du monde, si on n’a pas un morceau qu’on est content de jouer guitare-voix dans son salon ou ailleurs, c’est difficile de se projeter. J’y vais donc pas à pas. Et pour l’équipe, les choses se sont toujours faites naturellement, donc je pense que ça sera pareil cette fois-ci.
Titus - L'été dernier, vous co-animiez avec André Manoukian le magazine musical "Tété ou Dédé" pour France 5. L'occasion de parcourir les Etats-Unis à la rencontre de musiciens. Qu'avez-vous retiré de cette expérience ?
Ça m’a beaucoup plu, pour plusieurs raisons, la re-rencontre et l’opportunité de faire un bout de chemin avec André Manoukian, le fait d’avoir parcouru les Etats-Unis, un pays qui a une culture qui moi, m’a toujours inspiré. C’était fabuleux. Le fait d’interviewer les gens, de mettre en valeur le travail d’autres personnes…
Titus - Quelle est l'étape de ce voyage qui vous a le plus marqué ?
On a visité quatre villes : Miami, San Francisco, New York et la Nouvelle-Orléans. Je connaissais déjà New York mais pas les autres villes. Et c’est la Nouvelle-Orléans qui m’a le plus marqué. Par rapport à la musique tout d’abord. C’est le Sud des Etats-Unis et c’est l’un des berceaux du blues. C’est une confluence de plein d’influences : la culture des colons européens, des esclaves, des Amérindiens aussi. Ces derniers ont apporté beaucoup à la musique américaine et c’est souvent un héritage qui est un peu occulté. Je me suis rendu compte que le blues, c’était tout ça, et ça a un peu dépoussiéré l’image d’Épinal que je pouvais en avoir. Et puis la Nouvelle-Orléans est une ville de partage, où tout le monde cohabite. Voilà une culture singulière qui naît de la rencontre de beaucoup d’autres…
Titus - Cette émission a-t-elle débouché sur des rencontres avec des musiciens avec lesquels vous pourriez envisager de collaborer ?
Ah ça j’aimerais beaucoup. C’est vrai que ça a été une année et demie assez riche en rencontres parce qu’il y a eu l’émission mais aussi les tournées aux Etats-Unis et en Australie. J’ai fait deux tournées en Australie avec mon ami Jeff Lang, qui est un musicien australien. Et à cette occasion-là, j’ai aussi rencontré Bob Brosman, qui est un musicien américain. Ce sont autant de gens qui vous inspirent de par leur musique, mais aussi par le simple fait de passer un peu de temps à côté d’eux, de voir leur vision du monde. Tout ça vous fait grandir. Il y a eu quelques collaborations sur scène et c’est sûr que si ça pouvait déboucher sur une collaboration en studio, j’en serais ravi.
Titus - Quel rôle a joué la musique des Etats-Unis dans votre propre éveil musical ?
C’était assez central, en fait. Mes premières influences, c’étaient les disques qu’écoutait ma mère quand j’étais enfant. C’était une fan de jazz et des Beatles, donc j’ai grandi exclusivement avec ces sons-là. Et puis ensuite, j’ai creusé mon propre sillon en allant explorer des genres qui me correspondaient plus à différentes époques. De façon générale, j’écoute beaucoup de musique anglo-saxonne.
Titus - Si l'on remonte un peu plus dans le temps, quel est justement votre premier souvenir lié à la musique ?
Probablement, le fameux single des Buggles, « Video killed the radio stars ». Je devais avoir quatre-cinq ans.
Titus - Vous êtes né en 1975 à Dakar, mais vous n'y avez que très peu vécu… Pouvez-vous nous parler de l'environnement qui était celui de votre enfance ? Avez-vous évolué, dès votre plus jeune âge, dans un univers où la musique était très présente ?
Il n’y avait pas de musiciens dans ma famille. J’ai fait un peu de violon quand j’étais enfant. Mais j’ai arrêté à cause du solfège qui m’était désagréable. Plus tard, je me suis cassé la jambe et me suis retrouvé immobilisé à l’un de mes anniversaires. Je devais avoir 16 ans. C’est là que je me suis offert une guitare. Mais pendant longtemps, la seule musique qu’il y avait à la maison, c’était surtout les disques qu’écoutait ma mère.
Titus - Quels sont les musiciens qui ont le plus compté dans votre éducation musicale ?
Pour les mélodies, je dirais que c’est les Beatles. Pour le son, je réalise avec le temps que les disques de ma mère m’ont bien influencé aussi. Et puis aussi des gens comme Hendrix, Keziah Jones à une époque, et toute la scène folk qu’on appelle « Americana ». Le travail de Bob Marley ou Bob Dylan aussi.
Titus - Aviez-vous eu, très jeune, le désir de faire de la chanson votre métier ?
Pas du tout. Enfant, je pensais devenir dessinateur. J’ai progressivement arrêté de dessiner à mesure que je jouais de plus en plus de guitare. A un moment donné, j’ai eu envie d’avoir plus de temps pour écrire des morceaux et jouer. Je me suis donné un an pour jouer dans les bars à Nancy. Au terme de cette année-là, je suis allé à Paris et c’est là que j’ai pu signer, à l’âge de 23 ans.
Titus - En réalité, le succès a été rapidement au rendez-vous, votre premier album "L'air de rien" ayant été acclamé à la fois par la critique et le public... A quoi attribuez-vous ce succès ?
Il m’arrive de repenser à cette époque-là et de me dire que j’ai eu beaucoup de chance. C’est sûr que j’ai beaucoup travaillé mais il y a plein de gens qui bossent et qui n’ont pas cette chance. De rencontrer la personne qui va leur permettre de faire le lien ou d’avoir la possibilité de faire le même métier dans de meilleures conditions. Parce qu’on ne fait jamais les choses tout seul.
Titus - La sortie du deuxième album, "A la faveur de l'automne", sorti deux ans plus tard, en 2003, n'a fait que confirmer cette première impression. Pourtant, vous restez méfiant par rapport au succès, non ?
On a vu plein de gens qui ont fait des disques fondateurs, qui ont marqué l’histoire de la musique et qui, après un ou deux disques, n’ont plus eu la chance de travailler dans les mêmes conditions. Je pense aussi à d’autres gens dont j’admire le travail et qui font ce métier depuis bien plus longtemps que moi et qui, commercialement, ont connu des périodes de hauts, de bas. Je crois que c’est un cheminement. Ce qui est intéressant dans ce qu’on peut appeler le succès, c’est surtout qu’il nous permet de faire de la musique autant qu’on souhaite en faire et tout au long de l’année et ne faire que ça, alors je n’ai aucun problème avec ça.
A la faveur de l'automne, en duo avec Jenifer au TNT Show de Direct 8 le 19 novembre 2007.
Titus - Quel regard portez-vous sur la nouvelle scène française à laquelle beaucoup vous rattachent, même si une telle étiquette recouvre forcément beaucoup de styles…
Ce que je peux dire, c’est que c’est un plaisir d’évoluer et de croiser les acteurs de cette scène-là, car il y a une scène foisonnante en France. Il y a plein de gens de grand talent ; il y a une belle émulation et un côté décomplexé.
Titus - Le vôtre, de style, a toujours été bien personnel, pour ne pas dire atypique. Je crois que vous aimez parler de pop blues… C’est une expression qui vous définit bien ?
Le côté pop fait référence aux mélodies et aux chansons courtes. C’est quelque chose que j’ai toujours aimé depuis les Beatles. Et le blues, c’est un sentiment, un matériau, et c’est un peu le dénominateur commun entre toutes les musiques qui m’ont toujours plu.
Titus - Nous avons beaucoup parlé musique, mais on vous connaît aussi pour votre plume délicate qui se rapproche souvent de la poésie. Vos textes comprennent toujours plusieurs niveaux de lecture. Textes et musique sont indissociables quand on évoque votre univers. Quand vous écrivez une chanson, qu’est-ce qui vient en premier généralement ?
La musique et la mélodie. L’idée, c’est de trouver ensuite un sujet une fois qu’on a trouvé une image, d’essayer de trouver des mots.
Titus - Les thèmes que vous abordez sont universels. Vous n’hésitez pas à vous faire gentiment grinçant de temps à autre. Je pense notamment à votre chanson « La Relance », qui figure sur votre dernier album.
Ce qui est rigolo, c’est que c’est une chanson qui a été écrite il y a trois ou quatre ans, mais qui faisait référence à la période précédant l’élection présidentielle. Tragiquement, la situation économique, française d’abord et globale ensuite, n’a cessé de se dégrader. Quand je repense, rétrospectivement, à des textes que j’ai pu écrire il y a quatre ans, il est tragique que ces textes fassent plus écho maintenant qu’ils ne le faisaient à l’époque où ils ont été écrits.
Titus - Quelles sont les évolutions, dans notre société, qui vous inspirent de l’inquiétude ?
Je préfère me concentrer sur les choses qui me donnent aujourd’hui de l’espoir. L’être humain ne manque pas de ressources. Même si je ne suis pas militant, je vois d’un bon œil la mobilisation, enfin, sur le développement durable… Il y a quantité de sujets qui donnent matière à se réjouir ; il y a des poches d’éveil un petit peu partout.
Titus - L’un des thèmes que vous évoquez est la question des minorités… Et notamment la difficulté d’être accepté en France.
Je ne suis pas forcément le mieux placé pour parler de ce sujet. Ca fait dix ans que je fais un métier que j’adore et dans de bonnes conditions. Mais il est évident qu’il y a des problèmes et c’est bien d’en avoir conscience. Mais je pense que donner une importance outre mesure à ce sujet-là peut relever de la névrose.
Titus - Malgré cet engagement manifeste, vous refusez je crois l’étiquette de chanteur militant. Pourquoi ?
Je trouve que c’est pas mon boulot. J’ai des opinions sur plein de sujets comme tout le monde, mais le mélange des genres, je ne sais pas s’il a sa place ici. J’ai la chance de faire un métier où, par le biais de mes textes, je peux de toute façon laisser filtrer ma sensibilité.
Titus - Que vous inspire aujourd’hui l’actualité politique française ? On vous sent un peu désabusé…
(Rires) Je ne sais que vous répondre. Juste que l’administration qui est en place a été élue démocratiquement. C’est le choix du peuple et il faut le respecter…
Titus - Mais ?
Oui, je sais, c’est une réponse de Normand… (rires) mais je pense que tout le monde aura compris que la majorité en place partage des valeurs pour lesquelles je n’ai pas voté. C’est le jeu de l’alternance.
Titus - Et dans le monde ? Que vous inspire notamment la victoire d’Obama ?
Je crois que j’ai eu du mal à en prendre la mesure au début parce que ça semblait tellement improbable. Mais il faut ensuite remettre les choses en perspective. Il est noir, d’accord, mais il est aussi président. L’idée, c’est qu’il soit bon, au-delà qu’il soit noir et sympa. Mais symboliquement, c’est très fort.
Titus - Vous en attendez beaucoup ?
Un certain nombre de choses n’allaient pas bien avec la précédente administration, donc on espère, dans l’absolu, que quiconque prend la succession va s’attacher à régler ces problèmes. Mais il suscite un tel espoir ! J’espère qu’il pourra faire avancer les choses, parce que sinon la déception des gens sera à la mesure de l’attente qu’ils avaient placée en lui.
Titus - Durant votre séjour aux Etats-Unis au côté d’André Manoukian, avez-vous eu le sentiment que quelque chose était en train de s’y passer ?
Ca a été très fugace car on a beaucoup travaillé, mais c’est vrai qu’on sentait une prise de conscience, un bel élan.
Titus - « Le sacre des Lemmings et autres contes de la lisière », votre dernier album, a été perçu par la critique comme un album concept. Quelle était votre idée, au départ ? Et pourquoi avoir choisi les lemmings en particulier ?
C’est quelque chose qui s’est imposé rétrospectivement. J’ai toujours mis des interludes sur mes albums, sauf peut-être sur le premier. C’est une manière de faire respirer les morceaux parce qu’ils sont généralement assez courts. Sur mon dernier album, il y avait trois interludes qui parlaient de thèmes de société et qui posaient la question, globalement, du vivre ensemble. En est-on capable, ou pas ? Les lemmings sont des animaux qui vivent en groupe et qui ont des comportements suicidaires par moments. L’idée des trois interludes, c’était matin, midi et soir. C’est après que ça a pu être perçu comme un album concept. C’était pas volontaire au départ.
Le fils de Cham, un extrait du troisième album de Tété (2006) :
Titus - Dans votre parcours, les deux premiers albums étaient davantage introspectifs. Dans le dernier, en revanche, vous livrez davantage votre point de vue sur le monde…
Oui, il y avait beaucoup de sujets que je voulais aborder depuis longtemps. Je pense qu’il m’a fallu tout ce temps pour trouver des angles pour les aborder. C’est pourquoi je ne les ai traités que sur le troisième album, bien qu’à mon avis ils étaient en filigrane sur les deux autres.
Titus - Vous êtes déjà venu jouer en Bretagne à plusieurs reprises. Je me souviens notamment de vous avoir vu au Festival du Bout du Monde à Crozon peu après la sortie de « L'Air de rien » en 2001. Vous avez des affinités avec cette région ?
Je crois que c’est la région de France où j’ai le plus tourné. C’est la région où les gens ont gardé cette habitude de sortir en groupe pour aller voir de la musique vivante. La convivialité y est très forte et ce sont des gens qui ont toujours été ouverts et bienveillants à mon égard et j’ai toujours plaisir, moi, à y retourner et pour jouer et en vacances.
Titus - Est-ce qu’on peut en savoir plus sur le concert du 7 mars à Cast. Savez-vous déjà ce que vous y présenterez ?
L’idée du labo, c’est de jouer les titres au fur et à mesure qu’ils arrivent, et de les insérer au milieu d’anciens titres. Il y aura donc des morceaux de mes trois albums, plus des nouveaux titres, et des reprises aussi. Tout ce qu’il faut pour se faire plaisir.
Propos recueillis par Titus le mardi 24 février 2009. Photos : Lisa Roze et DR. Une version partielle de cette interview a été publiée le 6 mars dans Le Télégramme.
POUR EN SAVOIR PLUS
Le site MySpace de Tété
Tété.TV
Tété, le blog
OU VOIR LE LABO SOLO TOUR CETTE ANNEE ?
7 mars, à 20 h, Cast, Bretagne (Vaches Folks)
19 mars, à 20 h, Liège (L'Escalier)
20 mars, à 20 h, Bruxelles (La Maison du peuple)
21 mars, à 20 h, Namur (Le Belvédère)
17 avril, à 20 h, Le Havre (Palais des régates)
18 avril, à 20 h, Sannois (EMB)
19 avril, à 20 h, La Rochelle (Port des Minimes)
2 mai, à 20 h, Dommarien (Le Chien à Plumes)
14 mai, à 20 h, Avignon (Akwaba)
15 mai, à 20 h, Feyzin-Lyon (L'épicerie moderne)
16 mai, à 20 h, Tours (Le bateau ivre)
20 mai, à 20 h, Agen (Florida)
22 mai, à 20 h, Bordeaux (Espace Tatry)
29 mai, à 20 h, Cognac (West Rock)
30 mai, à 20 h, Laval (Le 6 par 4)
5 juin, à 20 h, Paris (Nouveau Casino)
6 juin, à 20 h, Blois (Chatodo)
11 juin, à 20 h, Annemasse (Château Rouge)
12 juin, à 20 h, Brainans-Jura (Moulin de Brainans)
13 juin, à 20 h, Chartres (salle Ravenne)
4 juillet, à 20 h, Saint-Prouant (Festival Les Feux de l'été)
5 juillet, à 20 h, Belle-Ile (salle Arletty)
6 juillet, à 20 h, Vierzon (Les Estivales du Canal).