Voici donc le dernier épisode – provisoire - de ce dossier sur la révolution numérique en marche dans la BD. Après un large panorama de l’offre du côté technique, le précédent épisode s’est intéressé à la demande, au consommateur. Mais quel impact et quel enjeu pour les acteurs de l’offre ? C’est en fait une vraie révolution qui se prépare.
Pour les éditeurs, le sujet est encore peu exposé publiquement. Certains ont pris des initiatives comme les Humanoïdes Associés ou Soleil – on en a parlé. D’autres préparent des projets plus ou moins secrètement. N’a-t-on pas vu Média Participations acquérir Anuman Interactive, l’un des acteurs majeurs de l’édition de logiciels de loisirs et de jeux vidéos sur le marché français ? Ou Glénat se fiancer avec Luc Besson dans la société Europa Glénat pour mieux réussir dans l’adaptation cinématographique mais aussi le dessin animé et l’approche du marché japonais. Tous ont conscience que le numérique peut changer la donne et placent leurs pions.
Ces dernières années, la politique du « tout production » a paradoxalement permis à de nouveaux acteurs d’intervenir sans pour autant menacer les séries bien installées. Le numérique peut entrouvrir encore davantage la porte à de nouveaux éditeurs en ligne, mais aussi pourquoi pas des vendeurs de contenus comme SFR ou Orange. Les chaines de télévision comme Arte (la valse avec Bachir), France 3 (Disparitions, Plus belle la vie) ou TF1 (Trust, Arthur et le Minimoys..) se sont aussi déjà rapprochés de la production de BD pour le moment avec les éditeurs classiques, mais pour combien de temps ? Avoir plus d’éditeurs c’est peut-être bien quand on est auteurs et qu’on croit à son projet mais auront-ils tous les moyens et la volonté de soutenir tous les albums ? Ne vont-ils pas laisser jouer le buzz en s’appuyant sur les stars ? Mais est-ce finalement différent de maintenant ?
L’un des sujets immédiats est la rémunération des auteurs. Certains contrats, les plus récents, ont prévu la diffusion numérique des albums. Mais pour les autres et les anciennes séries, s’ouvre une négociation dont la logique n’est pas sûre de l’emporter. Le salaire de l’auteur est complexe fait d’avance sur droits, des forfaits, de part sur les ventes en fonction de seuils de ventes et beaucoup de détails – qui ont leur importance mais qui justifieraient un sujet en soi. Il faudra prévoir les cas, d’achat (entrant dans le quota des albums vendus ?) ou de location en ligne (semblable à un prêt en bibliothèque ?).
Pour les auteurs, le sujet implique aussi peut-être de revoir la manière de travailler, en privilégiant l’outil informatique, des formats classiques, ce qui nuirait à la variété du 9e art actuel. Il est en tout cas très vraisemblable que la mise en couleurs directes ou non informatiques soit de plus en plus exceptionnelle. Par ailleurs certains auteurs à succès pourraient être tentés de se passer de leur éditeur pour vendre en direct en auto édition, ce qui réduirait les marges et l’équilibre économique des éditeurs…
Une autre incidence sera l’impression des albums. A partir de quel « résultat numérique » un nouvel album sera-t-il édité sur papier ? Et quels seront les albums numérisés ? Trouvera-t-on en ligne les 70.000 albums en langue française ? Et n’y aura-t-il pas une réduction de la quantité imprimée, renchérissant de fait le coût unitaire d’un album qui deviendrait un produit de luxe pour privilégiés ? D’un côté, on ferait preuve d’un souci de développement durable par l’économie du papier ; de l'autre, on risque fort de segmenter la culture par l’argent. Sans compter les imprimeurs qui pourraient bien pâtir de la baisse du volume. Sauf si l’élargissement du public génère – ce qu’on ne doit pas exclure – un engouement pour la version papier.
Les distributeurs, à commencer par les librairies spécialisées ne seront pas indemnes dans cette évolution. L’effet du numérique sur le disque a terminé de faire disparaître le petit disquaire et a fortement réduit les achats de CD en magasin. Et cela sans même parler du piratage qui est une question à part à laquelle tous les acteurs travaillent. Si le catalogue d’albums se réduit, l’avantage est évidemment donné à la Grande Distribution et les magasins en ligne qui peuvent mettre en tête de gondole les quelques séries qui auront été imprimées. C’est alors toute la diversité culturelle qui est menacée. Et en premier lieu la remise en cause de tous les effets positifs de la Loi Lang. N’oublions pas que le numérique touchera aussi le livre, peut-être même plus rapidement …
Certains ne verraient pas d’un mauvais œil que dans un tel scénario catastrophe, les diffuseurs ne fassent plus autant d’argent sur la mise en place et les retours des albums en librairie. Mais il est probable qu’ils soient les acteurs de la diffusion sur le net et il conviendra de surveiller que ceux-ci ne prélèvent pas la majeure partie du bénéfice aux dépens des créateurs.
Au final, le sujet est loin d’être traité et soulève davantage de questions qu’il n’y répond. Cela signifie que je n’achève aujourd’hui qu’une première saison de ce feuilleton et j’y reviendrai avec des réponses des différents acteurs. Je vous invite à partager vos propres doutes et espoirs. Certains l’ont déjà fait ici ou par courriel et je les en remercie. Promis je ne vous ferai pas trop languir avant de commencer la deuxième saison !
Retrouvez les 12 épisodes en cliquant sur le lien suivant : Feuilleton BD Révolution Numérique
_________
Visuel de l'album plus belle la vie - scoop du site Wartmag - courtesy Wartmag - Vents d'Ouest