Jann Halexander qui ne reste jamais inactif, ni sans création, viens proposer son nouveau spectacle Goodbye Fassbinder, et à cette occasion, a accepté avec gentillesse un entretien pour Flash-News.
Bonjour Jann, tout d’abord qu’est-ce qui t’as attiré chez Rainer Werner Fassbinder pour décider de monter un spectacle autour de son nom, est-ce le représentant du cinéma allemand des années 70, le réalisateur, l’acteur ou le metteur en scène de théâtre ?
Le choc fut lorsque j’ai vu le film Tous les autres s’appellent Ali. Cette histoire entre un
immigré basané et une femme allemande blanche à la retraite m’a profondément marqué. Depuis, j’ai gardé à l’esprit qu’il fallait que je fasse quelque chose autour de Fassbinder, un disque ou un
tour de chant. Et c’est un tour de chant.
Comment le définirais-tu ?
Fassbinder est l’incarnation des contradictions de la société européenne dans laquelle nous vivons. Il critique la bourgeoisie mais la rend fascinante. Il fustige le national-socialisme mais sublime la vie mondaine sous le nazisme. A priori, il bannit toute forme d’espoir, mais en même temps au détour d’un regard, d’un sourire, d’une parole, tout n’est pas noir. C’est une œuvre violente et sensuelle, un peu crépusculaire. J’ai été surpris en Allemagne de voir à quel point beaucoup d’Allemands ne l’aiment pas, il dérange. Comme beaucoup d’Italiens détestent Pasolini, des espagnols Almodovar ou encore des français Catherine Breillat. C’est ce que j’appelle le complexe de l’Ambassadeur. Et puis peut-être que ces sociétés dans leur ensemble grincent des dents à l’idée d’être filmées, disséquées par les regards d’hommes non-hétérosexuels ou de femmes.
Sens-tu un parallèle entre son chemin de départ, journaliste au Süddeutsche Zeitung et celui que tu fais dans les écrits de tes chansons ?
Je dirais plutôt que comme lui, depuis bientôt 7 ans, j’essaie de construire quelque chose de nouveau dans la forme théâtre, cinématographique, musicale. C’est ce que j’ai expliqué aux héritiers de Fassbinder qui ont appris l’existence du projet et voulaient en savoir plus. Comme lui, j’éprouve l’urgence d’écrire des choses qu’on n’écrivait pas forcément, chanter et filmer des choses d’une façon innovante. Il y a un prix à payer mais au final, le fait de partager, de savoir que ça apporte quelque chose à beaucoup de gens est une réelle récompense. C’est comme ça que j’existe, que je me sens exister, que je donne un sens à ma vie en créant, créant beaucoup, dans l’urgent, peu importe les moyens.
Vois tu entre ton premier moyen métrage en tant que réalisateur J’aimerais J’aimerais, une filiation avec son premier court métrage This Night ?
Je n’ai pas encore eu l’occasion de voir ce cour-métrage car en France, c’est désolant mais il est très difficile d’accéder à l’œuvre du cinéaste, à part les grands classiques. Il était très prolixe, je m’en suis rendu compte quand j’étais allé à une expo qui lui était consacrée au Centre Pompidou il y a quelques années.
Si je regarde de près, je ressens du côté théâtre comme un fil entre vous deux, lui avec des troupes expérimentales, et toi ta recherche avec Rendez-vous secret dans laquelle tu as mis en mouvement des acteurs qui te donnent la réplique autour d’une histoire.
C’est certain que le format de ce genre de spectacle est inclassable. Il y a un public pour ça mais limité. De toute façon, il y aura toujours un public en attente de nouvelles formes ou de formes atypiques en création artistique. Heureusement. Rendez-Vous Secret n’était ni un concert ni une comédie musicale ni une pièce de théâtre mais…tout cela à la fois. Je sais que le metteur en scène Freddy Viau est confronté aux mêmes problématiques. Nous ne sommes pas si nombreux que ça en France dans cette situation car il est plus facile de reprendre Sartre ou Molière ou une pièce intellectuelle genre 3 acteurs, deux chaises ou alors des contes pour enfants. Je mène une démarche de pionnier. Je ne suis pas tout seul. Et c’est vrai que Fassbinder était un pionnier.
C’est autre chose que je recherche. Il faudrait parler davantage de théâtralité que de théâtre dans
mon cas. Le tour de chant Fassbinder c’est cela.
Dans son œuvre, il y est souvent question de la mort, Liebe ist kälter als der Tod (L'Amour est plus froid que la mort), Les Ordures, la Ville et la Mort, Rio das Mortes …y vois-tu viscéralement une démarche qui vous assemble ?
Cette phrase est magnifique. Et terrible, il y a le désespoir derrière et une part de vérité. Car l’amour comporte une forme de terreur, de froide brutalité, comme la mort. Il y a de l’acier dans l’amour. La mort devait obséder Fassbinder, je pense. Elle m’obsède tout autant. Depuis mon plus jeune âge. Je me pose beaucoup de questions. Et puis je ne suis pas croyant. Je suis agnostique, alors je n’ai pas la foi pour me « rassurer ».
Bisexuel, comme il l’a été, bien que plus homo que bi, Querelle en est une image troublante et ses amants sont plus nombreux que ses femmes, est-ce pour toi un miroir du passé qui accompagne ta propre vie ?
Je suis jeune, et même si j’ai vécu beaucoup de choses et que j’ai un sentiment de trop-plein, je vivrais d’autres choses. Et comme Fassbinder, tout en étant bi, j’ai une préférence pour les hommes. D’ailleurs, je voudrais dire quelque chose au sujet de la bisexualité : j’en profite pour parler un peu suite aux retours que j’avais de l’émission sur Arte en décembre dernier. Jusque là dans les films, je m’attache à montrer des relations entre hommes, un peu moins dans Statross le Magnifique I, mais j’attends encore un peu avant de m’attaquer à ce sujet car je voudrais quelque chose d’original, puiser dans les expériences que j’ai eues et faire quelque chose d’original, comme film sur ce thème, car c’est bien joli d’assumer mais tout de même, ce n’est pas facile car c’est à la fois une liberté et la porte ouverte à une certaine forme de schizophrénie. Etre avec une femme ou avec un homme, ce sont deux situations totalement différentes. J’ai du mal par exemple à être ami avec une femme, l’amour platonique avec une fille à pédé ne m’intéresse pas. Une relation avec une femme sans dimension érotique, sensuelle, sexuelle ne m’attire pas trop, je suis plutôt réticent.
Querelle est un film magnifique et en même temps j’ai eu du mal à m’impliquer en tant que spectateur, comme s’il y avait une vitrine entre le film et moi. Pour en revenir à Querelle, ce qui m’a gêné un peu, c’est l’absence de la Femme en tant qu’objet de désir, car Jeanne Moreau est fantastique mais ne l’incarne pas. Or il est difficile de faire l’impasse sur la présence des femmes dans les ports. A travers les personnages, leur féminité, notamment à Querelle, je me suis dit qu’après tout la femme n’est peut-être pas si absente que ça et c’est ce que je suggère au public dans le tour de chant, en reprenant notamment une chanson écrite par Kurt Weil, que Fassbinder appréciait beaucoup.
Pourquoi cette démarche avec lui, plutôt par exemple qu’avec Luschino Visconti, qui était dans la similitude avec des œuvres aussi fortes.
Visconti a de grandes œuvres et c’est tout. Sa personnalité m’ennuie ou m’exaspère. C’était un bourgeois pompeux qui illustrait une certaine idéologie selon laquelle le cinéma est une affaire de riches et que seuls les riches et les gens bien cooptés peuvent en faire.
Un moment j’ai réfléchi, j’ai hésite entre Pasolini et Fassbinder. Mais Pasolini est trop latin pour moi, je ne me sens pas vraiment d’affinité avec l’Europe du sud, alors que l’Europe décrite par Fassbinder, je la connais, je la ressens, j’y vis, je peux la chanter.
Qu’est-ce qui différencie Goodbye Fassbinder de tes autres créations ?
C’est la première fois que je dédie un tour de chant à quelqu'un, un artiste. Parce qu’en tant
qu’artiste, et même personne, on est façonné par tellement d’œuvres. Fassbinder fait partie des gens qui m’ont construit. Son œuvre est à la fois décalée et ancrée dans la réalité. Il
avait un talent rare pour filmer la cruauté comme la faiblesse et savait filmer la marginalité, donner une place, un éclairage aux gens supposés marginaux.
Après cette introspection, parle-nous de l’histoire de ton spectacle.
Sans rentrer dans les détails, l’œuvre de Fassbinder sert de fil conducteur entre les chansons. J’évoque au public ses films, l’héritage qu’il nous a laissé. Quant aux chansons, évidemment la forme théâtrale m’intéresse. J’aime le jeu, jouer les personnages des chansons, y mettre le ton. Et tant pis pour ceux et celles qui trouvent que j’en fais trop. Je peux quand même livrer une petite information : la chanson d’ouverture c’est Lili Marleen.
Que veux- tu y faire ressentir ?
De la beauté et aussi de la réflexion sur la société dans laquelle nous vivons. A travers la question des rapports familiaux, par exemple, de l’amour aussi…
Qui va t’accompagner dans cette aventure ?
Et bien personne. Sur Angers, Madame Toulemonde et Hema font les premières parties, sur Paris, c’est Nicolas Duclos. Mais durant le tour de chant/théâtre, et bien je suis seul.
Quelle atmosphère va t’il s’en dégager ?
Une atmosphère à mi-chemin entre le cabaret des années 30, la poésie, la chanson française dans son classicisme. Je voudrais quelque chose à la fois de crépusculaire et désinvolte, je tiens notamment à l’humour noir. La mise en scène et les lumières sont simples. Sur Angers, il y aura une belle décoration florale assurée par ma sœur, fleuriste.
Si tu avais un mot où une phrase pour définir ton spectacle ce serait laquelle ?
Enivrant.
Pour conclure ; que voudrais-tu partager ?
La création pour moi, c’est un partage. Par exemple l’an prochain, il serait question que j’aille chanter en milieu carcéral et en milieu défavorisé et ça me motive. Ce que je veux, c’est atteindre aussi bien le bourgeois que le pauvre que la personne de classe moyenne, réveiller quelque chose en ces gens, leur apporter quelque chose. Divertir dans le sens noble du terme. Que les gens présents dans la salle soient emportés dans un ailleurs, qu’ils soient bien, qu’ils ne voient pas le temps passer. Que ce tour de chant reste en eux, les chansons, les musiques, l’univers. Parce que quelque soient les circonstances, les pires même, nous avons, pour la plupart, besoin de créations qui sont justement là pour sublimer ce que nous vivons. C’est vital, même si beaucoup de gens n’en ont pas forcément conscience.
(photos jeff bonnenfant)
(interview michel p. / copyright flash-news)