Dans la série « Débattre du travail, est-ce possible ? », après trois premiers articles « d’échauffement », je propose aujourd’hui une nouvelle lecture de Condition de l’homme moderne selon le « fil du travail ». Lecture forcément partielle et qui n’épuise pas la richesse d’un livre toujours plus d’actualité.
Plus de cinquante ans après sa publication The Human Condition reste un livre qui fascine beaucoup de ses lecteurs tout en restant difficile d’accès. Fascinant tant Hannah Arendt semble faire preuve d’une prescience extraordinaire. D
ifficile tant sa pensée déroule et croise de nombreux fils donnant à ce livre une trame très solide qui ne se prête pas à la synthèse.La majorité des commentateurs ont privilégié le fil de « l’action politique ». Certains, moins nombreux, celui de « l’œuvre et de la durabilité du monde ». Quelques-uns, comme très récemment Jean-Pierre Dupuy, celui de « l’action sur la nature ». Thèmes tous essentiels pour comprendre et penser le monde dans lequel nous vivons. Le travail, reste, à mon sens, le grand oublié. Hannah Arendt y consacre pourtant un long chapitre et en nourrit à la fois le prologue et la conclusion de son livre. Or, si les questions posées par l’irruption de l’action dans le domaine des sciences et sa quasi-disparition dans celui de la politique et par l’absence de souci du monde qui caractérise notre époque sont essentielles pour l’avenir de l’humanité, la question du travail (« en avoir ou pas ») est celle à laquelle se heurtent, jour après jour, de plus en plus d’êtres humains. Des siècles de « progrès » n’auraient-ils conduit qu’à renforcer la prison de la nécessité vitale ?
L’oubli de l’apport de Hannah Arendt sur le thème du travail n’est pas étonnant tant la confusion sur ce que recouvre aujourd’hui celui-ci est grande. C’est pourtant cette confusion que permet de travailler l’analyse phénoménologique de l’activité humaine menée tout au long de The Human Condition. Encore faut-il accepter de rentrer dans l’approche proposée et d’en suivre le fil, entrecroisé avec beaucoup d’autres tout aussi intéressants mais que nous laisserons provisoirement de côté.
Parmi les trois activités humaines regroupées sous le terme de vita activa deux, le travail (labor dans l’édition originale américaine) et l’œuvre (work) sont indispensables pour décrire ce qu’est devenu le travail aujourd’hui et comprendre comment il peut, contrairement à toute la tradition, occuper le sommet de la vie humaine. En déroulant ce double fil du travail et de l’œuvre nous rencontrerons ce que Hannah Arendt appelle le monde, ce qui relie et séparer les hommes. Nous y verrons, comment, dès 1958 elle pressentait ce que deviendrait la condition humaine avec le triomphe de l’animal laborans et la défaite de l’homo faber ou, dit autrement, la victoire du travail et la défaite du monde.
Afin d’en faciliter la lecture, compte-tenu des limites imposées par l’affichage des blogs, l’article est proposé sous forme d’un fichier pdf de 12 pages et 25 paragraphes :
1. Distinction entre trois activités humaines regroupées sous le terme de vita activa
2. Distinction entre domaine privé (nécessité) et domaine public (liberté)
3. L’apparition de la société : le travail élevé au rang d’activité publique
4. Le monde commun : objets, relations, ce qui sépare et relie les hommes
5. Distinction entre propriété et richesse
6. Objets d’usage (monde, œuvre) et biens de consommation (vie, travail)
7. Travail et consommation : deux stades du cycle perpétuel de la vie biologique
8. Le travail devient la mieux considérée des activités humaines : Locke, Smith, Marx
9. Productivité et force de travail
10. L’intérêt dominant devient l’accroissement de richesse et l’accumulation
11. La division du travail et la spécialisation de l’œuvre
12. La transformation des objets d’usage (monde) en biens de consommation
13. La stabilité du monde humain menacée
14. Une société de consommateurs courbée sous le joug de la nécessité qui dévore le monde
15. Si nous n’habitions pas un monde durable, notre vie ne serait pas humaine
16. L’homo faber détruit la nature, l’animal laborans la sert
17. Le processus de l’œuvre (du faire) est déterminé par les catégories de la fin et des moyens
18. La perversion moderne des fins et des moyens vient de la situation faite à l’activité de travail
19. Le travail change la fabrication en instrumentalisation illimitée de tout ce qui existe
20. Le travail, activité dans laquelle l’homme n’est uni ni au monde ni aux autres hommes
21. Puissance puis impuissance du mouvement ouvrier
22. L’âge moderne et l’aliénation au monde
23. La victoire de la vita activa
24. La défaite de l’homo faber
25. La victoire du travail
la-victoire-du-travail-et-la-defaite-du-monde_article.1236276776.pdf
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