Magazine Journal intime

« 1996 »

Par Markhy

J’ai les pieds écorchés. Je n’ai trouvé aucun bigorneau. La marée remonte, les quelques vaguelettes timides cicatrisent mes plaies. Agathe m’a demandé si je voulais jouer, j’ai répondu que j’étais blessé, les yeux larmoyants. Elle n’a pas eu pitié. Elle est juste partie jouer. Je l’entends toujours rigoler, d’ici. Son grand-père est venu me voir aussi, il a dit que je parlais bien pour un enfant de dix ans et m’a caressé la tête. Je n’ai pas eu peur, on dit que les crimes pédophiles sont généralement incestueux. C’est Agathe que je dois protéger.

Je regarde l’horizon, ce que j’en aperçois en tout cas. Les bateaux amarrés m’empêchent de profiter. Mes dents se serrent chaque fois que la mer me touche les pieds, Mémé est partie, elle m’a dit de faire attention en rentrant. J’ai hoché la tête timidement, content d’être abandonné. L’eau, à l’Ile d’Yeu, est comme ses résidents. Elle est froide comme si elle n’avait jamais connu l’été, je ne m’y baigne pas souvent. Les plages ne sont pas trop faites pour les enfants, sauf à marée basse, quand on y fait du BTP. Le maréchal Pétain est mort un 23 Juillet, il n’a pas fait exprès, c’est lui qui, à la place de mes parents, a décidé des congés qu’ils devaient poser. Une fille en bikini s’approche. Elle n’a pas de poitrine. Elle s’assoit à côté de moi. Petit, elle dit. Petit, elle répète. Je sors de mes rêves. Petit, je peux te faire un bisou ? Je la dévisage, m’arrête sur son nombril un long instant. Petit, je peux te faire un bisou ? Elle articule et prend une voix un peu gnangnan. Me prends clairement pour un con. Un bisou sur la bouche ? Je demande naïvement. Non, un bisou. Sur la joue, un petit bisou. J’entends des gloussements loin derrière. Elle a les joues rougies, mignonnettes comme ce qu’elle vient de se siffler, cul sec. Elle se gratte la poitrine, les yeux dans le vague attendant une réaction de ma part. Son autre main dessine des ronds sur le sable mouillé, elle n’y fait pas attention. Sur le ventre alors, je dis en pointant du doigt mon nombril. Tu m’embrasses le ventre. Je m’étends comme je peux, laisse mon ventre se dévoiler. Elle me jette alors ses yeux dédaigneux. Elle remonte la tête vers ses copines, un point d’interrogation se dessine sur son visage.

Allez je veux que tu embrasses mon ventre. J’insiste un peu. Mais t’es fou pourquoi j’embrasserai ton ventre ? Parce que tu m’aimes non ? Mais je ne t’aime pas. Alors ne viens pas me voir si tu ne m’aimes pas. C’est juste un gage, je dois juste te faire un bisou, tu ne joues jamais à Action – Vérité ? Je fais non de la tête et pointe mon nombril du doigt. Elle se lève. T’es complètement psycho toi. Complètement taré. Elle s’éloigne peu à peu pour rejoindre ses copines. Un GUEDIN, j’te dis. Complètement ALLUMÉ. Complètement PERVERS aussi. Trop bizarre ce gamin. Elle ne s’arrête pas de m’injurier puis s’assoit enfin. Il ne veut pas de mon bisou. Ses copines se regardent, étonnées. C’EST BIEN LA PREMIERE FOIS QUE L’ON REFUSE UN DE MES BISOUS, je l’entends crier avant qu’elle ne commence à pleurer.


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