Fais tes devoirs

Publié le 05 mars 2009 par Christophe Foraison
Après une longue absence (pour cause de travail...et de vacances), nouvelle mise en page et nouveau billet d'actualité... Et hop, c'est reparti

Hier, beaucoup de commentaires sur l'ouverture aujourd'hui d'un site qui propose la correction des devoirs contre rémunération.


On peut faire quelques remarques:

- il s'agit de la production (à distance) d'un service à la personne. C'est un secteur en croissance (y compris aujourd'hui en pleine crise, ces sociétés recrutent massivement).
D'ailleurs, la société qui héberge le site  propose d'autres services à domicile plus classique (voir son site ici).
On retrouve une tendance forte des économies actuelles: le mouvement de tertiarisation.

- Quelle est la logique économique à l'oeuvre ? Quels sont les coûts ? Quel prix fixer ?
La société ne va pas donner son business model (d'ailleurs, ce jeudi matin on ne connait  pas tous les tarifs proposés).
Essayons de raisonner comme l'entrepreneur (qui, je le rappelle, a fait des études commerciales relativement poussées ^^)

D'abord, je dois rationnaliser les coûts: pour cela, l'idéal est d'employer une main d'oeuvre peu exigeante en matière de rémunération mais efficace pour produire le service. On peut donc s'attendre à ce que ce soit un public d'étudiants qui constitue la main d'oeuvre de cette entreprise (sur le site facebook de l'entreprise, beaucoup d'étudiants proposent déjà leur service ).
En effet, je ne vois pas des enseignants comme moi être intéressé par ce type d'emploi pour 2 raisons au moins: la rémunération est trop faible, elle devrait être de l'ordre de 10 euros de l'heure (tout le monde sait que les cours particuliers sont facturés à un prix supérieur, et de loin).
En plus, il s'agit de corriger des copies, ce qui n'est pas le travail le plus plaisant à faire.



Ceci dit, certains collègues vont faire jouer l'effet-revenu: même si la rémunération est faible, ce qui compte, c'est augmenter mes ressources monétaires. Ils seront minoritaires.
En plus, au niveau des statuts, il s'agira d'emploi à forte flexibilité
(on retrouve là encore des tendances longues même si la grande majorité des emplois actuels sont en CDI).

Parmi les autres coûts, on peut inclure des coûts de gestion (notamment du site internet), mais ce coût fixe sera vite amorti avec le nombre de personnes utilisant le service. L'essentiel repose donc sur les coûts variables (comme souvent dans l'économie de services, contrairement à l'industrie où les coûts fixes sont très élevés).

Deuxième question: Quel prix fixer ? Il va falloir tenir compte de plusieurs facteurs pour attirer la demande...

- beaucoup d'élèves utilisent déjà le web pour faire leur devoir et ce, de façon gratuite: ils font du copier-coller, ils partagent sur les forums leurs réponses. Pourquoi payer ?
La seule réponse rationnelle à cette question est la garantie d'avoir une bonne note. Mais si ce n'est pas le cas, imagine-t-on un remboursement ou un crédit pour d'autres devoirs ? A voir...
 
- il va falloir proposer une gamme de prix pour toucher un large public.
La société donne un prix d'appel: un exercice de maths de base (comportant de 1 à 3 questions) sera ainsi facturé 5 euros.
Il existe des produits "haut de gamme" à 80 euros: un powerpoint avec le discours qui l'accompagne. On peut imaginer des élèves / parents qui sont prêts à payer ce prix pour espérer avoir une très bonne note dans une matière à fort coefficient (utile pour avoir une entrée en classe préparatoire
par exemple)
ou même pour une épreuve du bac (les TPE ).



Il y a aura donc trois types de demandes potentielles pour ce service:

1 / faire faire un devoir dans une matière dans laquelle on n'arrive pas à remonter les résultats .
Ce sera le cas d'un élève en difficulté avec un milieu familial misant sur l'école comme instrument de réussite sociale et étant prêt à tout sacrifier pour obtenir des résultats.

2 / faire corriger un travail dans une matière décisive pour la réussite future.
Ici, c'est le cas d'un élève moyen mais ambitieux avec un milieu familial disposant d'un capital économique mais peu de capital social (ne lui permettant pas de trouver des cours particuliers)

3 / payer un service pour un devoir long, fastidieux, pénible
.
Comme pour les services à la personne concernant les adultes, on préfère payer plutôt que faire soi-même ce qu'on n'aime pas faire: le repassage, le ménage...
Ici, c'est le cas d'un élève qui veut avoir la paix à la maison, et qui dispose d'un argent de poche conséquent.

- autre élément à prendre en compte: le consommateur peut bénéficier d'allègements fiscaux (certaines entreprises utilisent cet argument: "le service coûte 30 euros, mais 50 % vous donne droit à des réductions d'impôts, ce qui ne vous coutera donc que 15 euros", l'Etat encourage ce secteur qui est créateur d'emplois, d'où ces incitations fiscales)


- Quelles conclusions ?

Les réactions hostiles ont été très fortes, même le ministre est intervenu sur le sujet.
Le principal argument ? Ce n'est pas moral: on incite les élèves à payer pour faire leur devoir, cela va accentuer les inégalités.
Il est incontestable que le risque est réel (même si les partisans du site s'en défende en le présentant comme une aide pour ceux qui n'ont pas la chance d'avoir des professeurs particuliers).


Après l'affaire note2be (voir ce billet ici), un autre service pose problème à l'éducation nationale.
Même si les cas sont différents, ils posent le problème de l'évaluation: quel type de devoirs proposons-nous aux élèves ? quelle place prennent les notes dans le système scolaire ?

Si le site a du succès, deux interprétations sont possibles: d'une part, on peut y voir une défiance vis-à-vis de l'enseignement: trop de devoirs, trop de travaux inintéressants dont on préfère se "débarasser" en payant.

D'autre part, trop de pression sur les résultats, les notes incite à payer un service extérieur à l'éducation nationale pour pouvoir réussir (dans ce cas, contrairement au précédent, il n'y a pas défiance)

Voilà qui devrait donc à nouveau nous interroger sur le sens de nos pratiques d'enseignement.



Qu'en pensez-vous ?
 

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PS: Deezer a fermé la possibilité d'importer des morceaux, le jingle disparait donc, mais cela aura été une bonne expérience, comme le chante si bien Burning Spear qui sera le dernier voir ici pour les amateurs de musique jamaicaine (http://www.deezer.com/track/337725).