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“Le plus dur, c'est la hogra”

Publié le 04 mars 2009 par Tanjaawi

Maria Moukrim, journaliste
(AIC PRESS)

Antécédents

“Le plus dur, c’est la hogra”

1976.

Naissance à Casablanca

1998.

Diplômée de l’Institut supérieur de journalisme et de l’information

2001.

Rejoint Al Ayam après un passage par Assahifa

2005.

Publie une enquête sur les harems royaux qui lui vaut 4 mois de prison avec sursis et 100 000 DH d’amende

2005.

Remporte le prix Mohammed VI de la presse pour la meilleure enquête journalistique

2009.

Retenue dix heures par la BNPJ au sujet d’une photo de la mère du roi


Le PV
Maria Moukrim n’est pas une héroïne des temps modernes. En tout cas, elle ne veut pas l’être. Véritable star du microcosme journalistique, la “fouine”, comme la surnomment quelques confrères sans doute jaloux, a le contact franc et souriant. C’est elle qui reçoit : un plateau propret, un bureau bien rangé, avec derrière, la même journaliste qui n’a pas perdu un zeste de passion après 10 ans de carrière. A Al Ayam, où elle est depuis peu rédactrice en chef, Elle gère ses bouclages d’une main de maître : plus personne au bureau mercredi après 20h et, le lendemain, Al Ayam est en vente. Pour Maria, la difficulté est de concilier vie privée et vie professionnelle. Et à ce niveau, elle en connaît un rayon : son boss est son ancien professeur, quant à son mari, il bosse avec elle. Fonceuse et un brin garçonne, les esprits taquins la soupçonnent de porter la culotte.
Smyet bak ?
Mahjoub
Smyet mok ?
Zoubida
Nimirou d’la carte ?
Je ne le connais pas.
Ce n’est pourtant pas la première fois qu’on vous le demande…
Attendez (elle fouille dans son sac), voilà : BH543265.
Vous n’en avez pas marre de répondre à des questions de flics ?
J’avoue que je suis fatiguée. J’en ai assez que mon travail dépende du bon vouloir de la police. En tant que journaliste, j’ai juste besoin d’avoir un minimum de liberté pour apporter de l’info et rentrer à la maison sans avoir à m’inquiéter. Sans, surtout, qu’on me menace et qu’on m’humilie, comme la semaine dernière.
Rappelez-nous ce qui s’est passé…
C’est très simple. Nous avons décidé de réaliser un dossier sur la mère du roi, Lalla Latifa, une dame à la fois importante et méconnue. Et je vous assure que nous avons respecté les règles qui stipulent que, pour toute photographie publiée de la famille royale, il faut demander une autorisation au Palais. D’ailleurs, la réponse a été courtoise : notre intermédiaire nous a rapporté que ce n’était pas le bon moment pour publier un tel dossier et une telle photo.
Ok, et ensuite ?
C’était comme dans un film de Hitchcock. Le même jour que nous avons reçu la réponse du Palais (que nous nous apprêtions à respecter), mon directeur, Noureddine Miftah, reçoit un coup de fil suspect : un homme se dit en danger de mort et affirme détenir des informations capitales sur un groupe terroriste.
Et après ?
Manque de chance, un de nos journalistes flaire le coup fumeux : il a entendu les policiers de la BNPJ, qui avaient passé leur coup de fil juste devant la porte du magazine. Il prévient aussitôt Miftah que quelque chose de louche est en train de se tramer. Du coup, Miftah, sur ses gardes, ne se rend pas au faux rendez-vous. Mais la BNPJ (Brigade nationale de la police judiciaire) parvient quand même à le localiser grâce au système GPS de son téléphone portable. La suite, vous la connaissez.
Noureddine Miftah a été obligé de laisser une vingtaine de policiers fouiller vos locaux à la recherche d’une photo de Lalla Latifa. Mais vous, où étiez-vous pendant tout ce temps ?
La BNPJ est venue me cueillir chez moi, à la maison. Mon frère était là, ils l’ont aussi embarqué. Ils ont confisqué tous nos téléphones portables. Ils étaient six, rien que pour moi. Trois voitures en tout. Vous voyez le film !
Vous avez eu peur ?
Peur, pas vraiment. J’ai juste eu un vrai sentiment de hogra, c’est indescriptible, une terrible injustice.
Vous avez répondu à toutes les questions de la police ?
Toutes, absolument, sauf celles qui mettaient en cause mon éthique professionnelle et, parfois, ma dignité. Je n’ai rien à cacher et je n’ai rien fait de mal.
Revenons au fond du problème : vous ne saviez pas que la maman de Sidna est le plus grand des tabous ?
(Rires) Ce n’est pas ce qu’a répondu le Palais. On nous a juste dit clairement que ce n’était pas le bon moment pour évoquer le sujet.
Soit. Mais que représentait la photo en question ?
C’était une très belle photo de Lalla Latifa, où elle a un vrai port de reine, déterminée. Rien de choquant, je vous assure. C’est même tout le contraire.
Que voulez-vous dire ?
Nous comptions prendre notre temps pour faire un dossier sérieux sur la mère du roi. C’est une personne très peu connue et, les rares fois où elle a été médiatisée, elle a donné d’elle une image très positive. Nous voulions juste creuser un peu plus. Mais, apparemment, le problème c’est aussi que nous étions les premiers à nous intéresser à ce sujet.
Vos adversaires vous accusent de ne pas respecter l’intimité de la famille royale. Que leur répondez-vous ?
D’abord, je répète que nous avons scrupuleusement observé les règles : si nous avons demandé l’avis du Palais, c’est que nous comptions nous y plier. Ensuite, je suis une fille du pays, une bent l’blad, et je respecte l’intimité telle que la conçoit la société marocaine. Mon seul objectif est d’informer et de comprendre.
Même si le prix à payer est, quelque part, de dépasser les fameuses lignes rouges ?
Il est normal, pour un pays comme le Maroc, d’avoir des lignes rouges, mais il est normal aussi que les journalistes cherchent à les repousser. Je ne suis pas une journaliste du tberguig, mais de l’enquête. Il est important par exemple de faire des dossiers sur les loisirs du roi. Ça aide à mieux comprendre la personnalité du chef de l’Etat. De la même manière, je pense qu’il y a un véritable intérêt à savoir qui est vraiment la mère du roi.
Avec un peu de recul, qu’avez-vous appris de votre mésaventure ?
Le chemin vers l’Etat de droit et la liberté d’expression est encore long, en tout cas plus long que je ne le pensais.
Pessimiste ?
Pas du tout, sinon je ne serais pas là à boucler la nouvelle édition du journal, comme toutes les semaines. J’aurais rendu mon tablier si j’étais réellement pessimiste. Je pense que le Maroc peut se permettre de faire parfois deux pas en avant puis un en arrière. En tout cas je suis prête, à l’accepter, du moment que le pays va globalement dans la bonne direction.
Est-ce le cas ?
Nous ne sommes pas la Tunisie. Il ne faut pas l’oublier. Après tout, Mohammed VI lui-même a contribué à faire bouger les lignes rouges. Il a mis sa femme sur le devant de la scène, il a médiatisé sa fille… C’est assez pour me permettre de dire clairement : oui, nous sommes sur la bonne voie, malgré certaines forces rétrogrades.
Vous considérez-vous comme une combattante de la liberté de la presse ?
Franchement non. Je suis journaliste, je n’ai aucun objectif politique et je ne veux pas être un symbole. Mon but, c’est l’info. C’est cela mon métier, c’est ce que je sais faire. Tant mieux, du reste, si cela fait avancer la cause de la liberté, mais nous ne faisons que bénéficier des combats des journalistes et des gens qui nous ont précédés. Il ne faut pas cracher sur les acquis, ce n’est pas mon genre.


Par Souleiman Bencheikh / 4 Mars 2009 / Telquel

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