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A l'image de son titre, The Assassination of Jesse James by the coward Robert Ford est un film long. Long et cloué au sol, comme rampant - désespérément horizontal. Brad Pitt y a des yeux un peu différents: plus vraiment bleus, plutôt rouges, et plissés. Il est animal en fait, comme les reptiles qu'il brandit sous les yeux - pour le coup écarquillés - de Robert Ford, ce somnambule à moitié muet, qui ne sait que se tortiller en réponse aux oraculaires énigmes de son idole. Etre serpent ou être sur la voie du serpent, tel semble être en effet l'enjeu d'un récit qui porte, dès le titre, la marque de fatalité d'une fin d'Eden. Aspect mythique donc, souligné par la forme orale de l'histoire, de la destinée que nous conte une voix off entre les scènes. Le film emprunte aussi au reptile une peau à la fois bariolée et uniforme (les effets visuels souvent démonstratifs qui s'installent dans un style répétitif), ainsi qu'une attitude à la fois fuyante et immobile (quoi de plus faussement fuyant que ces nuages, toujours les mêmes, passés en accéléré pour former toujours un paysage identique?)
Au gré de ces paradoxes s'installe en tout cas la certitude que nous sommes sur terre, que notre corps nous pèse (Jesse James en parle lui-même) et que nos mues nous laisseront toujours plus près du sol, jusquà la seule matière. Ce présent et ce futur terrestre, peut-être va-t-il vers cet étrange au-delà qui apparaît sous la surface translucide du lac gelé sur lequel Jesse James évoque le suicide. C'est un au-delà qui a plutôt des allures d'en-deça. Le seul monde que nous voyons, nous-autres spectateurs, c'est celui d'une mue qui se prétend réincarnation: le jeu que Robert Ford fait de la légende de Jesse James, l'action encore et encore répétée, dans un cycle naturel qui ressemble à une malédiction.
En ce sens, L'Assassinat de Jesse James n'est pas sans rappeler Mémoire de nos père dans le traitement qui y est fait du légendaire et de ses images comme une forme de damnation. En fait les deux films ont un mouvement opposé. Quand celui d'Eastwood évolue vers l'origine, nous faisant attendre l'action de départ - et y insoufflant une forme de salut, celui de la mémoire -, celui d'Andrew Dominik part du tout dernier coup d'éclat de Jesse James pour en montrer linéairement les sombre suites, se concluant sur un mortifère retour du destin.
L'épithète "crépusculaire" colle à la peau de presque tous les westerns depuis Unforgiven. Dans le langage journalistique, ça doit signifier "western sans trop d'action", ou "western pas joyeux alors qu'avant ils étaient joyeux les westerns" ou, plus littéralement et certes de façon plus rare, "western où il fera bientôt nuit". Avec cette formule, on passait un peu à côté de ce qui faisait l'intérêt du film, la voracité maligne du passé. L'idée, lorqu'on parlait du crépuscule, était qu'Unforgiven avait l'ampleur et la nostalgie d'un dernier western. Jesse James n'a quant à lui plus grand chose d'un western. Et, de nouveau, il inverse Eastwood en situant l'angoisse dans l'horizon en rase campagne d'un future qui n'est qu'une matière opaque.
Les héros ne sont définitivement plus ce qu'ils étaient. D'abord émus et actifs, puis explosifs ou épuisés, les voilà maintenant paralysés. Un peu comme l'impossible héros de Zodiac - sorte d'inspecteur Harry de gauche - Jesse James, de même que son ombre débile, Robert Ford, est embarrasé par son corps, ses mouvements et ce temps qui n'en fini plus de s'écouler pour rien. C'est la tristesse de ce film sans espoir que viennent à peine adoucir les quelques notes de Nick Cave.