Comment peut-on plaider un jour pour la suppression de l'oreillette dans les pelotons au nom de l'éternel vélo et piétiner le lendemain l'une des traditions les
plus sacrées de l'Ovalie ? Ce qui est bon pour le cyclisme, le respect des valeurs et de l'héritage sportif, ne le serait-il pas pour le rugby ? La question mérite d'être posée à "Gros
Bill", shérif du corral sportif sur le PAF public. En poussant à la roue pour que le match France-Galles se dispute vendredi soir dernier sur France Télévision, Daniel Bilalian a en effet commis
un sacrilège.
Le Tournoi des Cinq Nations, même devenu Six avec l'adjonction récente d'un quinze italien al
dente dans ce vieux plat mijoté en quintette depuis des décennies, ça se déguste l'après-midi, un point c'est tout. Et le samedi, de préférence. Ce n'est pas une histoire de
vieille tambouille à papa. Juste le respect d'un public sans qui l'ovale perd toute sa saveur. Ce sont eux que la télévision, en imposant là aussi son diktat, méprise au risque de couper le rugby
de ses racines. Ceux qui quittent leur Sud-Ouest natal le vendredi soir ou dans le premier train du samedi matin et saucissonnent en dégustant à l'avance leur escapade parisienne du week-end. Eux
sans qui le rugby finira lui aussi par se dissoudre dans le "United colors of sport business" qui donne un goût de soda frelaté aux débats athlétiques sur gazon.
Les Anglais, qui savent parfois se montrer intraitables, avaient refusé l'an dernier ce petit arrangement avec l'audimat. "No
game on friday evening !", avaient-ils répondu l'an dernier lorsque la France avait proposé, déjà, de disputer sa rencontre à domicile contre Albion le vendredi soir. Les Gallois eux, qu'ils
en rougissent de honte, ont cédé. Au grand désespoir de quelques-uns de leurs anciens internationaux et d'une partie de leur public, privé de traversée du Channel et d'escapade sur le
continent. Pas de quoi être fiers. C'est une nouvelle brèche que la télévision vient d'ouvrir dans la tradition d'un sport, dont on croyait la cuirrasse bien plus épaisse.
Peut-être un jour décrètera t-elle qu'un match à quinze doit se jouer en quart-temps, pour laisser plus de place au fast food
publicitaire ? Peut-être verra t-on les grandes joutes du rugby international se transformer en pales copies des "Folies Ziegfeld", disputées par de gros bébés aux maillots rose
bonbon, avec pom-pom girls et karaoké de variétoche à vomir en famille… La formule marche déjà dans notre championnat, pourquoi ne pas l'appliquer au Tournoi. Et tant pis si les
provinciaux, pour cause de calendrier bouleversé, ne montent plus à Paris pour célébrer l'Ovalie le temps d'un week-end. Ça fera plus de place pour les bobos, les simili-parigots et les têtes de
veaux…