C'est la criiiise : Christine Lagaffe admet finalement qu'on va bien s'en prendre un petit bout dans les dents ; au PS, on continue à se distribuer des baffes rhétoriques ou physiques ; et pour le reste, tout le monde, à commencer par les majors du cinéma ou de la télévision, se replie sur lui-même. C'est l'hiver, les enfants. Fini les galipettes !
On parle souvent des majors de l'audiovisuel, avec les lois consternantes qui sont régulièrement votées en France et dans le monde[1], et de leur extraordinaire capacité à ne pas s'adapter au marché.
Aujourd'hui, dans un billet-méthode quasi-recette de cuisine, et qui sentira bon le rhum versé en portions libérales sur des crêpes au sucre, nous étudierons :
- comment ne pas adapter son business-model à la nouvelle donne numérique
- comment faire fuir le consommateur régulier
- houspiller ceux qui rêvaient de le devenir
- et se mettre à dos des fans et des relais d'opinions sur un média collaboratif rikiki comme - mettons - Internet.
Comment scléroser un bon petit business-model ? Il existe pour cela deux méthodes.
La méthode associative, pour commencer, part du principe que l'union fait la force. On demande donc aux artistes de s'associer. Les associations formées sont alors chargées de faire respecter leurs droits. Bientôt, elles grossissent et deviennent de véritables entreprises lucratives brassant beaucoup d'argent. Cet afflux est notamment permis par les lois sur les droits de diffusion. La copie nécessitant, au départ, un matériel coûteux et adapté, il est assez facile de contrôler la diffusion et d'assurer la meilleure qualité des reproductions légales devant celles des pirates. Mais lorsqu'arrive le numérique, ce contrôle devient très compliqué voire impossible, et la qualité n'est plus un critère. Une copie numérique, par définition, est parfaitement fidèle : rien ne ressemble plus à 0100010011 que 0100010011. Dès lors, les associations devenues grosses entreprises feront tout pour interdire par la loi ce qu'elles ne peuvent empêcher par la technique.
La méthode capitaliste, elle, part de la constatation que pour certaines productions, il faut miser beaucoup avec le risque de tout perdre. Typiquement, le retour sur investissement dans un film n'est pas toujours bon. La production française en est un douloureux exemple où, sans les tombereaux d'argent public, de magnifiques Navets Qui Pensent ne verraient jamais les deux ou trois toiles spécialisées dans le film d'auteur aux images bancales et photo pisseuse. Dès lors, pour récupérer ses billes, il faudra que le film produit soit vu contre paiement. Au départ, l'idée semble viable, mais l'arrivée du numérique bouscule là encore la donne. Et, alors que les majors n'ont eu aucun mal à imaginer des revenus issus du merchandising, de la publicité, du co-branding et j'en passe, l'arrivée du numérique semble les laisser totalement désemparés. Là encore, comme les associations, les majors auront donc vite fait de s'épancher sur les épaules accueillantes des députés et ministres qui se seront empressés de produire lois et amendements en leur faveur.
Le souci de tout cela ? Finalement, ça fait fuir le consommateur.
Et puis, même Albert le dit.
La récente action, très maladroite, de Warner Bros contre les associations de fans qui sous-titrent leurs productions, illustre parfaitement à quel point les majors sont en décalage avec leur temps.
En effet, en pourchassant les sous-titreurs fous, les majors commettent - encore une fois - plusieurs erreurs assez catastrophiques au plan marketing :
- Le consommateur régulier ne trouve plus sa série sous-titrée. Or, les majors mettent un temps considérable (plusieurs mois voire plusieurs années) à sortir leur propre version sous-titrée. Ce décalage important provoque une frustration de la part du consommateur qui, bien souvent ... abandonne purement et simplement. Pour une entreprise capitaliste, c'est un échec.
- La qualité générale des sous-titres, une fois produits par ces majors, est, de façon assez ahurissante, moins bonne que les sous-titres proposés par les fans. En outre, ces sous-titres sont payants (puisque sur des DVD coûteux) et ... de qualité médiocre. Les consommateurs qui ont donc patiemment attendu ... n'y reviennent pas. C'est encore un échec.
- Les majors choisissent souvent la post-synchronisation plutôt que le sous-titre. Or, les fans, les vrais, les durs, préfèrent les voix originales. Et d'ailleurs, on les comprend lorsque l'acteur qui double est mauvais (ça arrive) ou que la voix est trop éloignée de l'original. Agaçant. Mais, et c'est tout de même plus gênant, les sourds et malentendants se retrouvent donc devant une production pour laquelle la lecture des lèvres est inopérante. Sans ces sous-titres, ils ne deviennent jamais consommateurs. Ah. Zut. C'est un nouvel échec.
On peut d'ailleurs se demander pourquoi les majors décident d'aller enquiquiner les fans de série qui, finalement, offrent un travail très rapide (le sous-titrage d'un épisode est ainsi réalisé en moins de 48H), de qualité, et surtout gratuit ? Pourquoi n'offrent-elles pas de rémunérer ce travail, puisqu'elles ne semblent pas en mesure de faire mieux ?
En outre, compte-tenu de la décrue massive des coûts de copie, pourquoi ces majors ne s'adaptent-elles pas en proposant, dès qu'ils sont disponibles et sous-titrés, leurs productions, en VOD, à des prix très bas ? Nul doute que l'internaute moyen préfèrerait obtenir son fix hebdomadaire de séries proprement sous-titré, de façon légale, pour un prix modique.
Et les moyens de distributions massifs existent, mais, bien sûr, ils sont aussi poursuivis.
En fait, tout ceci montre surtout qu'il est toujours plus facile d'aller cogner à la porte de l'État, d'aller grappiller les aides et les subventions, d'aller empêcher des solutions alternatives d'apparaître, bref, de protéger sa rente que se remettre en question ou de proposer une nouvelle méthode de commercialisation.
Cependant, les majors semblent oublier quelque chose de fondamental : à l'instar de leurs super-héros qui gagnent systématiquement, sur le long terme, le marché gagne toujours à la fin.
Notes
[1] D'ailleurs, vous trouverez aussi un petit article, narrant les amusantes péripéties de la majorité UMP dans la jongle touffue de la copie numérique, que j'ai commis dans le dernier numéro (18) de Vendredi, un hebdomadaire qui paraît (surprise!) tous les vendredis.