le réseau et ses communautés, dont l’acte de naissance part toujours du constat que ce qui devrait être écrit et disponible ne l’est pas, s’inscrivent toujours inévitablement dans ces lacunes béantes. Il faudrait même inventer un autre mot que « critique », pour désigner une activité volante, fluide, décomplexée, volontairement dilettante. Ce nouveau discours s’affranchirait du jugement, dépassant le « bon / pas bon » en rejetant le médiocre et en ne s’atelant qu’à l’analyse des forces, et en finirait avec la hiérarchie en plaçant telle ou telle œuvre non au-dessus ou au-dessous d’une autre, mais à côté.
On aimerait proposer le mot intensité pour désigner toute action de l’œuvre (musicale, picturale, littéraire) sur notre cœur, nos nerfs, notre pensée. Le rôle du critique serait, non pas de juger l’œuvre, mais d’en dégager à la fois les problèmes et les intensités. Ces intensités, toujours ressenties personnellement, diffèrent non par leur ordre mais par leur différence.
(…)
La notion de différence d’intensité est très importante, car dès lors que la notion de chef-d’œuvre a été évacuée, on se voit alors accusé de mettre sur un même plan un manga japonais et The Recognitions de Gaddis, les films des frères Zucker et ceux de Kubrick, le dernier morceau d’un groupe de rock métalleux et une chanson des Beatles. (…) Des milliards d’intensités nous attendent, marquées par la nouveauté ou la variation : cette époque peut être une grande époque, à condition qu’on le désire et qu’on la relance par de nouvelles intensités, de nouvelles différences.
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Le véritable dialogue consisterait plutôt à débattre de manière interne aux textes,
c’est-à-dire se servir de ce que font les autres pour rebondir dans sa propre
réflexion forcément fragmentaire, et ce surtout en s’aidant d’autres domaines en
apparence très éloignés, rejoignant ainsi l’idée d’une transversalité fertile. Ces rebonds ne s’expriment pas forcément par écrit, ils peuvent aussi prendre des formes silencieuses, d’élaboration lente et personnelle, qui peuvent resurgir des mois plus tard sans qu’on ne s’y attende plus. Le critique, à mesure qu’il se fixe des objectifs, désire en réalité s’orienter vers des surprises : et lorsque deux éléments disparates viennent brusquement s’imbriquer, il n’y a pas de plus grande joie que cette découverte.
Je lui ai laissé un commentaire, il en mérite plus.
Toujours lié à ce sujet, Juan Asensio, sur son dernier message, met en avant les contributions au débat d'idée avec l'étranger que sont les traductions de certains de ces textes. On dira sans doute de même pour, par exemple, papiers pour The Quaterly Conversation. Je crois pourtant que le débat passe surtout par un dialogue direct et public avec des blogs, des sites, des revues dans d'autres langues. Il faut, il me semble, créer des ponts, et pour ce faire, il ne suffit pas de disséminer ses propres critiques.