La modernisation des institutions est désormais entrée en application. Rappel des quatre mesures phares concernant le travail parlementaire.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 nécessitait quelques lois et lois organiques complémentaires
avant d’être mise en application. Comme prévu, la réforme des institutions est désormais applicable depuis ce lundi 2 mars 2009. La première application concrète aura lieu ce mardi 3 mars
après-midi.
Il n’est pas ici dans l’objectif de revenir en détail sur cette réforme et sur les lois organiques (cela fera l’objet d’un développement ultérieur beaucoup plus long) mais de rappeler un certain nombre de mesures concrètes auxquelles il va
falloir s’habituer désormais, ou plutôt, auxquelles les parlementaires vont devoir s’habituer.
1. Les questions au gouvernement
La première application aura donc lieu ce mardi après-midi avec la séance de 15 heures des questions au gouvernement à l’Assemblée
Nationale.
Jusqu’à aujourd’hui, le temps de parole (une heure chaque mardi et une heure chaque mercredi) était partagé par les différents groupes au prorata de
leur représentation numérique, ce qui faisait mécaniquement une prédominance de questions provenant de la majorité qui, si elles sont loin d’être inutiles (chaque député cherchant aussi de
défendre leurs dadas et leur circonscription), sont évidemment moins gênantes que les questions de l’opposition.
Un meilleur contrôle de l’opposition
Cette après-midi, donc, le temps de parole a été considérablement transformé en répartissant le temps pour moitié seulement à la majorité et pour
moitié à l’opposition.
On peut donc dire que cette mesure qui avantage les groupes de l’opposition est une bonne mesure, qui améliore la démocratie et qui permet à
l’opposition d’assurer un meilleur contrôle de l’action gouvernementale.
Une bipolarisation renforcée
Oui et non, en fait : si elle donne plus de "pouvoir" aux députés de l’opposition (ce qui est très bien), elle oblige aussi les groupes à se
déclarer explicitement dans la majorité ou dans l’opposition. Ce qui, pour l’UMP, les socialistes, les radicaux de gauche, les écologistes et les communistes, paraît normal l’est nettement moins
pour les rares députés du MoDem.
En effet, il a fallu donc définir ce qu’est un groupe de la majorité et ce qu’est un groupe de l’opposition, or le seul acte palpable correspond aux
votes de confiance ou de motion de censure depuis le début de la législature, ce qui veut dire que chaque groupe devrait voter de manière homogène, ce qui contrevient à la liberté du
parlementaire qui, contrairement aux États-Unis ou à l’Afrique du Sud par exemple, n’a aucun mandat
impératif.
Ce principe même (de se définir à l’intérieur ou à l’extérieur de la majorité) est un principe qui renforce une bipolarisation (UMP-PS) déjà très soutenue et qui complique la démarche de parlementaires refusant tout dogmatisme et
qui veulent se prononcer pour ou contre sur chaque texte concrètement, sans parti pris.
Par ailleurs, la mesure désavantage énormément les petits groupes se déclarant de la majorité puisqu’ils vont perdre proportionnellement quasiment
tout leur temps de parole à moins que leur grand frère ne leur en octroie par bonne volonté (c’est le cas ici du Nouveau Centre).
Donc, en pratique et à court terme, cette mesure donne quelques questions supplémentaires aux groupes socialistes de l’Assemblée Nationale et du
Sénat.
2. L’ordre du jour des assemblées
Élément crucial pour l’activité parlementaire, l’ordre du jour des séances de l’Assemblée Nationale et du Sénat était généralement décidé à Matignon
ou à l’Élysée.
L’innovation consiste désormais à donner plus de poids aux parlementaires, essentiellement de la majorité, sur l’initiative des textes en discussion
en réservant plus de temps pour les propositions de loi (d’initiative parlementaire) au détriment des projets de loi (d’initiative gouvernementale) avec également quelques séances dédiées à la
discussion de texte provenant de groupes de l’opposition.
3. La nature des textes mis en discussion
Sans doute est-ce l’amélioration majeure du travail des parlementaires.
Avant d’être mis en discussion en séance publique pour le vote des articles, des amendements et le vote final, le texte (projet ou proposition de
loi) est mis à l’étude au sein de la commission concernée et fait l’objet d’un rapport (chaque projet ou proposition a son "rapporteur") et d’éventuelles modifications sur le texte
d’origine.
Le problème, c’est que lorsque le projet de loi passait en discussion plénière, c’était sur la base de la première version, la version
gouvernementale, ce qui, finalement, faisait considérer le travail des parlementaires de la commission concernée comme inutile.
Depuis le 2 mars 2009, donc, le texte qui sera mis en référence en séance publique ne sera plus le projet initial voulu par le gouvernement, mais le
texte modifié et amélioré en commission. Cela fera faire déjà un gain de temps (beaucoup de modifications sont techniques sans enjeu politique) et une reconnaissance essentielle du travail en
commission (qui pourrait même être public, puisque son importance est accrue).
Pour ceux qui ont déjà travaillé en groupe, il est inutile de rappeler que le travail en commission, où sont impliqués généralement des
parlementaires spécialistes de sujets proches, est beaucoup plus efficace et technique que le travail en séance plénière où le grand nombre de parlementaires souvent peu concernés et peu
connaisseurs du sujet rend plus difficile un débat déjà plus politisé.
Notons également que de nouvelles commissions ont été également prévues par la révision du 23 juillet 2008, notamment celle concernant les Affaires
européennes, ce qui donnent de nouveaux moyens aux parlementaires pour étudier les textes à venir, et que la durée minimale entre le dépôt d’un texte et sa discussion en séance publique a été
rallongée, donnant plus de temps aux commissions de l’étudier.
4. Les nominations en Conseil des ministres
Jusqu’à maintenant, toutes les nominations pour pourvoir aux emplois importants civils et militaires (dont le nombre a considérablement augmenté sous
la Présidence de François Mitterrand à la veille de la première cohabitation en 1986) s’effectuaient sur décision du Conseil des ministres après proposition du ou des ministres
concernés.
Beaucoup laissaient entendre (depuis De Gaulle) que ces nominations étaient souvent le fait du prince (plus précisément, du Président de la
République) et apparemment, ces supputations seraient très peu éloignées de la réalité.
La réforme des institutions a donc introduit une très faible avancée par rapport à l’existant en permettant aux commissions parlementaires concernées
(une de l’Assemblée Nationale et une du Sénat) non pas de prendre part aux nominations (comme cela se passe aux États-Unis pour la désignation même des ministres, on le voit avec les nominations
malheureuses de Barack Obama), mais au moins de rejeter des nominations dans le cas où celles-ci sont très majoritairement contestables.
En effet, pour que le Parlement puisse refuser une nomination, il faut qu’au moins trois cinquièmes des membres des composition s’y opposent. Ce qui
signifie forcément que des parlementaires de la majorité s’y opposent. Cela pourrait paraître invraisemblable mais ça dépend de ceux-ci surtout, et ça donne une petite garantie en cas de
nominations très controversées.
C’est d’ailleurs par cette procédure que seront nommés les
présidents des sociétés de l’audiovisuel public (Radio France, France Télévisions et France Monde) et qui a
été présentée avec erreur par le Président Nicolas Sarkozy lors de son interview télévisée du 5 février 2009.
Sa première application pratique aura lieu en mai.
Wait and see
J’ai choisi quatre sujets sur plusieurs dizaines de nouveautés. J’aurais pu aussi évoquer le droit d’amendement qui a fait l’objet d’un baroud d’honneur un peu ridicule de la part du groupe socialiste en janvier dernier afin de limiter les trop longues obstructions parlementaires que l’opposition pourrait faire subir
au gouvernement (chaque "camp" en ayant eu dans sa propre histoire).
Cet article ne se focalisait que sur l’amélioration du travail parlementaire et ces principales mesures n’ont eu aucune opposition de fond lors de la
discussion de la réforme au printemps 2008 (au contraire des questions relatives à l’Exécutif).
On verra donc avec le temps la manière dont les parlementaires vont s’approprier ces nouveaux outils et prendre par eux-mêmes un peu plus
d’indépendance par rapport au pouvoir exécutif. Rendez-vous à la fin de cette législature.
D’ici là, La Chaîne Parlementaire propose une émission sur ce thème de la réforme du travail parlementaire le mardi 3 mars 2009 à 21
heures.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (3 mars 2009)
Pour aller plus loin :
Le sacre de la République Sarkozy.
Les institutions et leurs réformes.
Le droit d’amendement est-il menacé ? (26 janvier
2009).
Les nominations dans l’audiovisuel public.
La bipolarisation de la Ve République.