Nicolas Herpin, « La taille des hommes : son incidence sur la vie en couple et la carrière professionnelle », Economie et statistique, n°361, 2003
Les hommes grands sont plus souvent en couple que les petits
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D'après l'Enquête permanente sur les conditions de vie réalisée par l'Insee en 2001, parmi les hommes de 20-29 ans, 47 % de ceux qui mesurent plus d'un 1,80m sont en couple, contre seulement 41% de ceux qui mesurent entre un 1,70m et 1,80m. Parmi les 30-39 ans, les trois quarts des grands (plus d'un 1,80m) et des moyens (1,70m et 1,80m) vivent en couple mais seulement 60 % de ceux dont la taille est inférieure à 1,70 m.
Ainsi la mise en couple semble plus précoce pour les hommes de plus grande taille. Le retard dans la mise en couple des hommes de taille moyenne entre 20-29 ans (1,70m et 1,80m) est rattrapé dès la tranche d'âge suivante (30-39 ans), mais il ne l'est pas pour les plus petits. Dans les tranches d'âge suivantes, le pourcentage des hommes petits vivant en couple augmente mais il n'atteint jamais celui des grands.
Un effet propre de la taille ?
La petite taille est-elle la raison de cette différence dans la vie en couple ? Ou est-elle le reflet d'autre chose, la traduction d'une autre propriété sociale ? se demande Nicolas Herpin.
En 1981, Charraud et Valdelièvre[1] ont montré à partir des données de l'enquête Santé de 1970 qu'il existe une nette différence de taille entre les milieux sociaux, cet écart n'ayant pas disparu en 2001. Les cadres supérieurs et les professions libérales mesurent en moyenne 177,6 cm soit 3,2 cm de plus que les ouvriers ou les exploitants agricoles.
L'hypothèse que fait alors Nicolas Herpin est la suivante :
- les femmes préfèrent comme conjoint le meilleur apporteur de ressources
- la taille des hommes augmente avec leur statut économique,
Donc les hommes de plus grande taille sont alors relativement favorisés.
Il ne faut cependant pas aller trop vite en besogne. « L'hypothèse selon laquelle la vie en couple varie selon le milieu socioprofessionnel de l'homme n'est que partiellement vérifiée. Les employés vivent relativement souvent hors couple et les chefs d'entreprise et les professions libérales relativement plus souvent en couple. Mais les ouvriers ne sont pas moins souvent en couple que les cadres ou les ingénieurs. » La probabilité pour un homme actif de vivre en couple ne dépend pas que de la taille. Les données statistiques permettent par exemple d'établir que les hommes de moins de trente ans sont plus souvent hors couple, de même que les chômeurs et les habitants des villes de plus de 100 000 habitants.
Cependant, lorsqu'on tient compte des probabilités différentes de mise en couple selon le milieu social, la taille possède un effet propre. Comprenez que si vous prenez deux hommes de même milieu social, le plus petit des deux aura moins de chances d'être en couple, à un âge donné. « Être petit est un handicap pour la mise en couple quel que soit le niveau social ».
La taille comme reflet des perspectives professionnelles ?
Pourquoi les hommes petits sont-ils moins en couple que les plus grands ? L'idée est que la taille n'est pas un critère discriminant pour la mise en couple pour elle-même, mais par ce qu'elle représente. La taille fonctionne comme une indication de l'avenir professionnel.
Nicolas Herpin montre que les hommes de petite taille sont moins diplômés que les grands, et qu'ils sont sortis de façon plus précoce du système scolaire. Départager les raisons qui expliquent l'abandon plus précoce des études chez les petits est délicate (hypothèses proposées p 80).
Hors du milieu scolaire, la taille élevée constitue un atout économique pour l'homme. « À diplôme constant, les hommes de taille élevée font une meilleure carrière professionnelle car leur sont confiées davantage de responsabilités d'encadrement. » La taille élevée d'un homme est perçue comme une aptitude à commander. Ainsi, relativement aux espoirs de carrière qui leur sont offerts, les hommes de petite taille apparaissent comme un moins bon « parti » que ceux de grande taille.
Pourtant, on peut douter que la taille soit interprétée consciemment et volontairement comme une information sur l'avenir professionnel, par les femmes. Lors de la mise en couple, les femmes n'ont pas seulement à l'esprit la carrière de leur conjoint, ni même le désir de voir ce dernier s'y consacrer trop exclusivement. D'autres aptitudes tournées vers la sphère privée sont mises en balance. Or de ce point de vue, Nicolas Herpin, statistiques à l'appui, montre que les hommes de petite taille ne cumulent pas des traits, qui en feraient des compagnons plus difficiles à supporter dans la vie de couple, tant au niveau des traits physiques et des habitudes de vie. Le constat n'est pas défavorable aux hommes de petite taille : « Les hommes de petite taille ne se distinguent pas de ceux de taille moyenne ou des grands par une alimentation plus déséquilibrée, par une consommation plus élevée de boissons alcoolisées, par de l'obésité plus fréquente » (p 83)
S'ils n'apparaissent pas comme moins aptes à la vie de couple, les hommes de petite taille sont pourtant moins en couple. Le retard dans la mise en couple s'explique par le fait que les hommes petits doivent présenter des compensations à leur petite taille, notamment en montrant davantage de maturité au moment de la formation du couple. « Dans le travail notamment, ils ont fait la preuve de leur sérieux et apparaissent comme apporteurs fiables de ressources. Ils sont alors en situation de compenser leur petite taille. Mais ils ont dû vieillir un peu plus que les grands avant de réussir à se mettre en couple. »
La norme sociale du couple physiquement bien assorti
La taille peut également influencer la mise en couple en raison de la norme sociale selon laquelle il doit y avoir un écart de taille entre l'homme et la femme, norme appelée par Nicolas Herpin «assortiment physique des couples. » « La norme sociale rend souhaitable que, dans le couple, l'homme soit plus grand que sa femme sans pour autant que l'écart ne soit ni trop faible ni trop fort » (p 86) En moyenne et dans le couple, l'homme est plus grand que la femme de 12 cm. Si elle n'est pas respectée, cette norme sociale donne lieu à des sanctions de type informel dans la vie courante. Le couple peut être gêné dans ses aspirations mondaines ou amicales et toute sa vie durant, s'attirer des sanctions (rires).
NB : Nicolas Herpin a consacré à la taille, outre l'article étudié dans cet article, un ouvrage entier dans la collection Repères. Le pouvoir des grands par Nicolas Herpin Coll. Repères, éd. La Découverte, 2006, 109 p., 8,50 euros.
Frédérique
[1] « La taille et le poids des Français », Économie et Statistique, n˚ 132, pp. 23-38.