Lundi prochain, le 9 mars, la firme de Dallas enverra les premières lettres de licenciement à ses salariés de Villeneuve-Loubet. En attendant, les ingénieurs végètent… Trois cent cinq départs sont toujours prévus.
« Vous m’avez donné rendez-vous à 18h, mais on aurait dit 14h ou 15h, c’était pareil pour moi… » Visiblement, les journées de Pierre (le prénom a été changé) ne sont plus très remplies. Marié, père de deux enfants, 44 ans, cet ingénieur de Texas Instruments est assis sur un siège éjectable. Il fait parti de la division GGE, qui met au point des systèmes pour les téléphones mobiles de types GSM, GPRS et EDGE (GGE). Une activité jugée non-stratégique par la firme. Et comme un paquet de collègues de boulot, il risque fort de recevoir une lettre de licenciement le 9 mars prochain. La multinationale spécialisée dans les semi-conducteurs l’a confirmé : ce seront bien 305 emplois qui vont être supprimés sur son site de Villeneuve-Loubet (sur un total de 979 salariés). Finis, les espoirs de reprise pour les cadres rassemblés au sein du groupe GGE…
Rude retour de vacances
« Il y a du monde à la machine à café » et « un certain désoeuvrement » flotte dans l’air. « On nous a dit de tout arrêter, même pour ceux qui travaillaient sur de nouveaux produits. » « De toute façon, tout le monde a levé le pied dans la boîte » confie Luc, ingénieur “hors GGE”. Connu pour son rythme très soutenu, l’ambiance de travail à Texas Instrument sombre du coup dans un sacré décalage. Pierre constate : « Pour des gars qui étaient à fond, bossaient 12 heures par jour, se voir toute la journée écumer le site de l’Apec (Association pour l’enploi des cadres, ndlr), c’est extrêmement démoralisant ». « La législation en est même trop longue » ose notre interlocuteur. « Au bout de 4 mois d’attente, les gens en ont marre, veulent en finir et savoir. »
Début novembre, dès l’annonce de cette restructuration, la direction du groupe a créé l’entité GGE pour former un groupe autonome de 140 ingénieurs à vendre à qui voudra. Objectif : épargner à ces cadres la case “Pôle emploi”. « Cela a créé une sorte de start-up à l’intérieur même de l’entreprise » raconte Pierre. « Une sorte d’enthousiasme s’est créée, et même si on se demandait qui allait bien pouvoir nous reprendre, beaucoup ont vu ça comme une opportunité, même une manière de progresser personnellement ». Le retour des vacances de fin d’année fut plutôt rude : « les managers nous ont convoqués, ont joué carte sur table, nous ont expliqué les démarches effectuées… » et annoncé l’échec de la vente. « D’octobre à janvier, on continuait à travailler normalement. Mais maintenant, c’est la déception ».
La dure loi du “ranking”
Qui restera ? Qui partira ? Tout dépend du “ranking” ! La direction va croiser des critères sociaux avec des évaluations de performances personnelles : « c’est très informatique » selon Luc. « Ils vont rentrer tout ça dans un ordinateur et une liste va sortir. Un système qui tourne parfois en dépit du bon sens, mais sans doute le plus juste ». Pierre voit « certains voisins de bureaux, jeunes et célibataires, ne se faire aucune illusion ». Après 14 ans de bons et loyaux services pour la firme de Dallas, lui non plus n’est pas pour autant à l’abri, loin de là.
Licencié ? « Ce sera une première fois ». « Je suis descendu de Picardie pour entrer chez Texas. Ma famille a sa vie ici, je veux rester. Mais je n’ai pas fait de CV ni d’entretien d’embauche depuis 15 ans… » Sans compter que 300 « T-Iers » (dites “Ti-aïyeurs”) et 200 sous-traitants vont se retrouver en même temps sur un marché de l’emploi déjà sinistré… Comme Pierre, beaucoup pensent à une « reconversion totale, en artisan ou profession libérale ». « Le pire sera pour ceux qui ont 5 à 10 ans de boîte, viennent de faire des enfants et d’acheter une maison à crédit… » Point positif, « les licenciements ne seront pas faits à l’américaine : les employés n’auront pas qu’une heure pour libérer le plancher, loin de là ». « La direction a même été correcte », estime Luc, « et les indemnités de départs seront suffisantes pour faire le dos rond deux ans, en attendant que ça reparte ».
Un site en sursis ?
Pour ceux qui resteront, « cela ne sera pas facile de relancer la machine et de se réorganiser. » Pierre prévient : « Il va y avoir un problème délicat de transmission du savoir avec ceux qui partiront. » « Sans compter la question de la pérennité de ce site sur la Côte d’Azur, que chacun garde en tête. » De fait, fin janvier, Texas Instrument a lancé dans la foulée un plan social géant – conjoncture économique oblige - avec à la clé 3.400 suppressions de postes à travers le monde… Et une nouvelle charrette en perspective à Villeneuve-Loubet. Pierre tranche : « Sauf changement de stratégie, à terme, Texas fermera ses portes ici. » Luc nuance : « Un petit noyau dur sera conservé, pour attendre un redémarrage de l’activité. » Nul ne connaît encore la réponse… sans doute même à Dallas.