Je me lève chaque matin endolori et magané comme si mon club avait joué la veille contre une gagne de cro-magnons cokés qui portent leurs noms sur leurs maillots. Pour la première fois de ma vie cyclorandonnesque, je m'entraîne un tout petit peu en vue de l'aventure qui m'attend en avril. Mais ce ne sont pas mes balades à vélo qui me rompent et me scient. Au contraire. Non, c'est mon travail d'écriture. C'est le sujet.
J'ai l'impression de me plonger chaque jour dans un morbide réacteur et d'en sortir irradié, décoloré, affaibli. Le lendemain matin, c'est exactement comme si j'avais lâché les gants pour en rouler un à l'urgence. J'ai mal aux mains, aux avant-bras, aux épaules, au cou, au dos…
Je vais le terminer, mon Mauvais Siècle. Je l'aime parce qu'il me nourrit et m'apaise très profondément, me fait apprendre et œuvrer. Je l'aime parce qu'il me libère, surtout. Il me permet depuis deux ans de peler une à une les épidermes de fausseté qui m'alourdissaient depuis la nuit des temps. Depuis le premier bulletin de nouvelles, depuis le premier film de guerre, depuis la première visite endormie au milieu des marchandises.
J'ai quitté mon continent sans regret et de même façon, sans atermoiement, je quitterai mon siècle. Je vais le terminer, ce livre horrible et fou, mais après, quand je l'aurai confié aux autres, je serai enfin libre de lui et, d'avance, j'en jouis, j'en éclate de rire, tout seul dans l'aube fraîche.© Éric McComber