Accordez-moi quelques instants encore, ami lecteur, afin de
vous emmener une dernière fois devant la vitrine 8 de la salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
Je vous avais, souvenez-vous, dans un tout premier temps, le mardi 10 février, expliqué en quoi consistait exactement une stèle de donation; pour ensuite, le mardi 17, envisager la première des deux que les Conservateurs nous proposent dans cette vitrine, celle de gauche, la C 261.
Aujourd'hui, après une petite semaine de congé, période de carnaval belge oblige, et pour en terminer avec ce sujet, je vous propose l'examen de la seconde, à droite, la C 298.
Tout comme la précédente, il s'agit d'une dalle monolithe cintrée, en calcaire, provenant de la région du Delta et concernant un terrain offert à un temple : quatre points communs, donc, entre elles. Des différences néanmoins sont à épingler, qui expliquent leur présence côte à côte : malgré que toutes ont la Basse Epoque comme origine, celle qui nous occupe aujourd'hui relève de la première année du règne du pharaon Amasis, de la XXVIème dynastie, aux environs de 570 A.J.-C., soit quelque 330 ans après l'autre, qui datait du temps d'Osorkon Ier, pharaon de la XXIIème dynastie.
Si, à un centimètre et demi près, leur hauteur est pratiquement la même, la largeur de C 298, visiblement plus étroite, atteint à peine 24, 8 cm.
Si, en outre, c'est également le roi qui, pour les raisons que j'ai évoquées les deux derniers mardis de publication, offre symboliquement le terrain, la particularité cette fois, et je l'avais annoncée précédemment, c'est qu'il tend bien le hiéroglyphe idoine :
celui qui, dans la liste de Gardiner, représente le champ, matérialisé par les trois roseaux émergeant du marais.
Sous le classique disque ailé protecteur que nous retrouvons à nouveau comblant le cintre du monument, le roi Amasis, tourné vers la gauche, coiffé de la couronne (originellement rouge) de Basse-Egypte, sorte de mortier dont la partie postérieure s'élève obliquement, et de laquelle émerge une tige incurvée vers l'avant qui se termine par une spirale, présente donc à hauteur de visage le hiéroglyphe du champ qu'il offre aux divinités lui faisant face : un tout jeune homme, d'abord, arborant le "pschent", la double couronne constituée à la fois de celle de Basse-Egypte et de celle de Haute-Egypte, et censée concrétiser la puissance pharaonique sur le Double Pays, l'ensemble donc de tout le territoire égyptien. Par parenthèses, ce terme "pschent" provient de la langue égyptienne elle-même, "pa-sekhemty", qui signifiait "Les Deux Puissances".
Le jeune dieu est par ailleurs juché sur un des symboles les plus significatifs de l'Egypte pharaonique : la double royauté, la réunification des Deux Terres, que l'on appelait, toujours dans la langue de l'époque, le "sémataouy" (ou "séma-taoui", selon certaines graphies rencontrées) qui se compose du signe hiéroglyphique "séma" figurant une trachée artère flanquée de ses deux poumons, et qui signifie "unir", motif autour duquel sont nouées les plantes emblématiques du Nord, donc de la Basse-Egypte, à savoir le papyrus, et du Sud, donc de la Haute-Egypte, à savoir le lotus (ou lis blanc).
Cette composition héraldique, emblème donc de l'union des deux parties du pays, fut très souvent gravée dès l'Ancien Empire, j'aurai l'occasion d'y revenir plus avant dans le Musée, sur les côtés des sièges cubiques royaux.
Nous la retrouvons ci-contre, dans la forme d'un des vases à parfums en albâtre mis au jour dans la tombe de Toutankhamon, et que l'on peut admirer au Musée du Caire.
Quand, comme sur notre stèle, le terme "séma-taouy" est attribué à une divinité, il devient patronyme et signifie alors : "Celui qui a unifié, qui a pacifié les Deux Terres".
Derrière le jeune dieu viennent, aisément identifiables, le
dieu Horus, hiéracocéphale, c'est-à-dire doté d'une tête de faucon, coiffé lui aussi du pschent et, pour clore la marche, la déesse Hathor. Devant chacun d'eux, une petite colonne de hiéroglyphes
les nommant; comme d'ailleurs devant le roi qui fait l'offrande, la seule différence, vous l'aurez notée, résidant évidemment dans le fait, que j'ai déjà maintes et maintes fois
épinglé, qu'ils ne sont pas tournés dans le même sens puisqu'ils épousent celui du regard du personnage qu'ils définissent.
Ultime remarque concernant cette scène : les personnages et les hiéroglyphes sont gravés en creux (et, par parenthèses, avec nettement plus
de soin que sur C 261), dans la mesure où, monument cadastral, la stèle devait être profondément enfoncée dans le sol. Et comme j'ai également déjà eu
l'opportunité de le mentionner, notamment dans un article concernant le décodage de l'image égyptienne du 7 avril
2008, ce type de relief était essentiellement l'apanage des
monuments extérieurs de manière qu'il puisse bénéficier de l'intense luminosité du soleil qui, par le jeu de l'ombre et de la lumière, permettait de mieux en faire ressortir les
détails.
C'est sous cette scène, approximativement sur une hauteur
égale, à l'intérieur d'un encadrement qui délimite toute la partie épigraphique du monument, que se déploient douze lignes de beaux hiéroglyphes gravés eux aussi en creux qui, se lisant de
droite vers la gauche, nous énumèrent les modalités de la transaction.
Dans la première moitié de la première ligne, le lapicide a de manière classique précisé l'époque à laquelle ce document lithique fut rédigé : l'an 1, le quatrième mois de la saison "chemou", au premier jour de règne du roi de Haute et Basse-Egypte ...
De manière classique, viens-je d'annoncer : en effet, il faut savoir qu'à cette époque les Egyptiens comptaient les années en fonction du début du règne d'un pharaon; le comput recommençant à chaque fois qu'un souverain décédait et qu'un nouveau montait sur le trône. De sorte que l'on peut lire une formule du genre : l'an autant, le ixième jour de l'Horus (= du pharaon) un tel ...
Pour évidemment affiner cette méthode de datation, les scribes ajoutaient le moment dans l'année où le document avait été rédigé en se basant sur les saisons, au nombre de trois, rappelez-vous, qui se partageaient une année qu'ils faisaient commencer vers le 19 juillet, avec l'apparition des tant espérés premiers débordements du Nil.
Au milieu de la deuxième ligne, vous remarquerez la présence de deux cartouches : ils correspondent aux deux derniers noms de la titulature royale traditionnelle : l'un, Khnoumibrê, précédé du roseau et de l'abeille, symboles de la Haute et de la Basse-Egypte; l'autre, Iâhmès, du canard et du soleil traduisant la notion de "Fils de Rê"; patronyme qu'après les Grecs, nous traduisons volontiers aussi par Amasis.
(Je vous rappelle une fois encore, ami lecteur, que pour retrouver l'explication des cinq noms qui forment l'intégralité d'une titulature royale, vous pouvez vous référer à l'article paru le 6 mai 2008).
D'emblée, avec ces deux lignes, la référence chonologique est fournie : l'événement se passe le premier jour du quatrième et dernier mois de la saison des récoltes, donc pratiquement à la fin d'une année égyptienne : en l'occurrence, ici, la première du règne du pharaon Amasis.
L'événement ? Mais lequel ?
C'est cette précision qu'avance la troisième ligne : en effet, si vous êtes attentif, vous remarquerez le hiéroglyphe du bras tendant un vase globulaire.
Signe que nous avons rencontré le mardi 17 et qui signifie que l'événement en question est une donation.
A partir de là, le texte mentionne avec force détails la superficie du champ offert : 6 aroures, soit environ 1, 64 hectare (l'aroure étant en effet une mesure équivalant à 2735 m²); ainsi que, de la quatrième ligne jusqu'au milieu de la neuvième, ses limites sud, nord, ouest et est.
Il avait préalablement indiqué, à l'extrême fin de la troisième ligne, que cette offrande était proposée en faveur du temple du grand dieu Osiris, seigneur de Ro-Méhet, localité située à l'est du Delta.
Vient ensuite, au début de la dixième ligne, le nom de celui qui, gardien des portes de ce domaine va, comme ce fut apparemment très souvent le cas à l'époque saïte, gérer cette donation : Oudjasemataouy, ainsi que la mention de ceux de son père et de sa mère.
Et le texte de la stèle de se terminer, après avoir demandé que le dieu fasse que dure cette donation pour toujours et à jamais, par une imprécation pour qu' il tue celui qui y porterait atteinte.
(Barbotin : 2006, 32-3)