copyright Musée du quai Branly 2008.
« Rouge Kwoma, peintures mythiques de Nouvelle-Guinée », Musée du quai Branly Jusqu’au 4 Janvier 2009.
Cette expo du quai Branly met en regard les productions traditionnelles des Kwoma, peuple de la région du haut Sépik en Nouvelle Guinée (Mélanésie*) et celles de trois artistes et hommes de pouvoir** Kwoma contemporains.
Kowspi Marek et ses deux fils, Chiphowka Kowspi et Agatoak Kowspi, peignent à l’acrylique sur des supports occidentaux, afin de faire connaître leurs mythes au plus grand nombre pour les sauver de l’oubli. Pour rendre leur culture intelligible à des non Kwoma, le trio a sorti les peintures des maisons de cérémonies, dont elles recouvraient le plafond, et il a élargi leur sujet. La représentation abstraite d’esprits, d’animaux et d’éléments de la nature a cédé la place à des épisodes mythologiques qui les mettent en scène.
A travers la narration, les motifs qui dans la peinture traditionnelle paraissaient abstraits – pour un œil occidental –se chargent de sens. Citons juste l’exemple du triangle spiralé qui représente la roussette, par analogie avec l’aile de la chauve-souris. Vu sur un pangal ****, isolé de toute trame narrative, il est difficile à identifier pour le néophyte. En revanche, placé dans un contexte mythologique et mêlé à des modes de figuration plus occidentaux (des hommes et des femmes, des chiens) le même motif devient soudain parfaitement clair. Je me réfère ici à la peinture racontant que les femmes, s’étant rendu compte que les hommes ne valaient pas mieux que les chiens (sic) se transformèrent en roussettes.
Ce passage à la narration, afin de garder une trace « écrite » des mythes, explique que Kowspi Marek et ses fils aient abandonné le format vertical du pétiole*** de palmier sagoutier, souvent remplacé par du papier (plus rarement de la toile). Le pétiole est davantage approprié à une succession de motifs répétés verticalement selon plusieurs axes de symétrie horizontaux, qui évoquent l’importance de l’eau et de ses jeux de reflets chez les Kwoma. Les peintures traditionnelles, exécutées à base d’ocres, de noir et de blanc, reposent sur un réseau de cernes, de lignes de points et de formes simples, mandorles, cercles et triangles. De cet ensemble émergent assez souvent des visages. Les uns apparaissent si l’on regarde le pangal de haut en bas, les autres de bas en haut. Seul un accrochage zénithal, reproduisant les conditions de visibilité des maisons cérémonielles, permettrait de saisir d’un seul coup d’œil toute la richesse des œuvres.
Entre les pangals traditionnels et les visiteurs néophytes, les œuvres de Kowspi Marek, Chiphowka Kowspi et Agatoak Kowspi servent de ponts. Des silhouettes identifiables d’êtres humains et d’animaux, d’arbres ou de plantes créent par endroits une profondeur au sein d’une surface recouverte d’un décor proliférant, sans hiérarchisation entre les bords et le centre ni distinction claire en les contenants et les contenus. En même temps qu’ils renouvèlent la tradition, Kowspi Marek et ses fils laissent s’exprimer un style personnel. Chiphowka utilise mois les tons verts, privilégie les ocres et les gris sourds. C’est également lui qui ordonne le plus ses compositions. Son père le considère comme le meilleur peintre Kwoma.
Les mythes Kwoma révèlent une grande proximité entre les « hommes des collines » (c’est la signification de Kwoma) et les règnes végétal et animal. Les premiers hommes vont cueillir leurs femmes dans un arbre, où elles sont représentées comme de gros fruits orange, l’esprit mère des sangliers recueille deux enfants, les femmes se transforment en roussettes…
Il est intéressant de constater que ces mythes, tout en étant tout à fait originaux et spécifiques aux Kwoma, font écho à certains de nos mythes. Même conquête violente du feu, le meurtre d’une vieille qui le tirait directement de ses yeux rappelant le vol de Prométhée. Comme les premières femmes Kwoma, Adonis naît du flanc de sa mère Myrrha transformée en arbre. Enfin, même importance du rouge.
En Occident, c’est la couleur par excellence, la première à sortir du lot. Le système chromatique antique reposait sur le blanc (la non-couleur), le noir (le sale) et le rouge (la vraie couleur). En espagnol, « colorado » veut encore dire, selon le contexte, « rouge » ou simplement « coloré », comme en latin « coloratus ».
Chez les Kwoma, le rouge c’est, encore plus que la couleur primordiale, la couleur des origines. Le mythe raconte que c’est la fascination pour cette couleur qui poussa un ancêtre Kwoma, Guayamba, à suivre son sanglier domestique barbouillé de rouge jusqu’à la surface, quand les hommes vivaient encore sous terre. Découvrant que la vie était bien plus agréable sur terre, Guayamba alla chercher les siens. Une fois à la lumière, les hommes se débarrassèrent de leurs poils superflus et coupèrent leurs longues oreilles de sanglier. Ils s’installèrent au pied des Monts Washkuk, où son cochon était allé se rouler. Dans ce récit de la naissance des hommes à la civilisation, la couleur rouge joue donc un rôle fondamental. C’est ce qui explique qu’elle donne son nom à l’exposition.
*L’aire géographico-culturelle de Mélanésie s’étire en arc de cercle à l’est de l’Australie, de l’Irian Jaya et de la Nouvelle-Guinée au Nord jusqu’à la Nouvelle-Calédonie au Sud, en passant par les îles de Nouvelle-Irlande et Nouvelle-Bretagne, les îles Salomon et du Vanuatu.
**Référents d’une communauté, ce sont des hommes dont l’influence est assurée par la possession d’objets de prestige, comme la monnaie cérémonielle (des ornements de coquillages et de fibres tressées dont les statues des ancêtres étaient parées), la gourde à chaux, et le poignard sculpté présentés dans l’exposition.
***Enveloppe fibreuse proche de l’écorce, située à la base des palmes.
****Peintures exécutées aux pigments sur pétiole de palmier sagoutier.