C’est avec de petits sacrifices que l’on parvient à de grands résultats, comme, par exemple, faire l’acquisition d’un vase meiping.
Celui qui a été mis en vente en Septembre dernier à New York a affolé les collectionneurs par la blancheur irréelle de sa porcelaine et la finesse de son décor, presque invisible. Son nouveau propriétaire l’a arraché à des amateurs verts de jalousie pour la bagatelle de 2 Millions d’euros.
2 Millions d’euros, une somme modique qui ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval, certes, mais peut-être sous un paquet de litière pour chat (agglomérante la litière, sinon c’est dégueulasse).
En effet, le vase convoité a été adjugé pour l’équivalent de 500 000 paquets de litière Monop’ (si on calcule avec la Leader Price ça fait plus, bien sûr). Un chat bien traité vivant en moyenne 15 ans et utilisant, si son maître respecte les règles élémentaires d’hygiène, environ 4 paquets de litière par mois, 720 amateurs de chats et de céramiques asiatiques pourraient posséder en commun ledit vase meiping, à la condition d’emmener Mistigri faire ses petits et gros besoins dans la rue (et de les ramasser, évidemment…).
Notez que si les bols chinois ne sont pas votre tasse de thé, pour 2 Millions d’euros vous pouvez aussi devenir propriétaires d’un certain nombre de babioles d’un goût différent, comme une tapisserie des Gobelins ou une toile de Basquiat.
Fier de l’ingéniosité de mon plan de financement, j’avais déjà enfilé mes bottes en peau de yack (pour aller le présenter à mon dépressif de banquier, quand mon tigre de salon, emporté par son élan, exécuta un magnifique dérapage incontrôlé sur la table basse, emportant la nappe et tout ce qui avait le malheur de se trouver posé dessus.
Parmi toutes les locutions latines du petit Larousse que je lui avais lues, le diabolique animal n’avait retenu que « tabula rasa »…Mon appartement n’est décidément pas plus accueillant pour des œuvres d’art qu’un champ de mines.
Une consolation malgré tout : j’ai enfin une occasion de citer la phrase qui figure dans nombre de manuels de procédés littéraires à l’entrée « zeugma » :
"Tu as brisé mon coeur et mon beau vase de Chine."
Précisons qu’un vase meiping se reconnaît à son élégante forme galbée, due à son épaule généreuse supportée par un pied étroit. Son goulot serré est destiné à recevoir une unique branche de prunus* en fleur. Ce type de vase se développe dès l’époque des Song (960-1279).
A défaut de voir en vrai celui adjugé par Christie’s, le Musée Guimet en expose plusieurs magnifiques de l’époque des Yuan (1279-1368) et postérieures. En particulier, l’un d’eux présente une couverte** bleu foncé obtenue avec du cobalt, associée à un décor en réserve.
*littéralement « meiping » signifie « vase à prunus », même si à l’origine les vases de cette forme étaient utilisés comme bouteille à alcool.
**comme son nom l’indique, c’est la couche de silice (sable) + oxydes métalliques qui recouvre la terre nue (grès ou porcelaine). On parle de couverte plus ou moins onctueuse, selon l’impression de moelleux qu’elle donne en recouvrant une pièce.