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C'est pas du cinéma!

Publié le 02 mars 2009 par Alex Gaudin

Passionnant article paru dans le New Yorker qui fait le portrait d’un spécialiste du marketing de film, Tim Palen.
Petite parenthèse, cet article confirme que le journalisme garde toute sa raison d’être quand il est en mesure d’investiguer, d’enquêter. Ce qui nécessite bien évidemment du temps et des moyens, humains et financiers. Tout ce que déteste un patron de presse aujourd’hui mais qui demeure aussi la principale motivation à encore « acheter » de l’Information. Mais je reviendrais sur le sujet dans un prochain papier. Bref, un article comme on n’en lira pas dans la presse gratuite !
L’article nous plonge dans le quotidien de ces hommes dont le métier est de vendre un film au plus grand nombre, un exercice à mi-chemin entre les RP, le marketing et l’audace créative. Le fil narrateur de l’article est la sortie du dernier Oliver Stone aux USA, W et la façon dont Tim Palin s’y prend.
Mais derrière ce fil, c’est toute l’industrie du cinéma hollywoodien qui s’y dévoile dans sa puissance financière et qui montre à quel point le cinéma y est de moins en moins un art, ou alors celui de savoir faire de l’argent.
Comme le dit le début de l’article, si la publicité est l’art de vendre un produit, le marketing vise lui à vendre ce que vous n’avez pas, ou pas encore, tout est dans le teasing. Et dans la stratégie de lancement d’un film, c’est aujourd’hui essentiel.
En moyenne, un film de Major dépense 36 millions de dollars en marketing, pour un coût moyen total du film d’une centaine de millions. Cette dépense d’environ un tiers du budget total témoigne des enjeux considérables qui conditionnent la réussite d’un film.
Car aujourd’hui le problème n’est plus tant de réussir un bon film, que de savoir à qui on va le vendre et comment le faire savoir.
Un weekend lambda aux Usa, c’est une douzaine de films qui sortent, dont au moins trois de Majors.
La grande question que se posent donc les executives des studios de cinéma est donc « Can we make this [film] seem ‘babysitter-worthy’ ? ».
L’industrie du cinéma obéit finalement aux contraintes dictées par la société de consommation de masse : à production de masse (un gros film sort en moyenne dans 4000 salles à travers le pays) doit répondre une demande de masse.
Il faut donc attirer le chaland.
Et l’une des principales angoisses des producteurs, c’est le syndrome du film dont le public visé estime que le film s’adresse à un autre public…
Alors, pour réussir le lancement d’un film – dont le succès dépend de plus en plus des résultats du premier weekend de sortie ou au mieux de la première sortie, l’artillerie lourde est de mise.
Un lancement de film, aujourd’hui, se décompose en trois actes : un an avant voir davantage, on lance un teaser (et par encore le trailer) de 90 secondes ainsi que du contenu gossip ou making off destiné à faire du viral en ligne. Quatre mois avant le lancement, apparaît le trailer qui, comme on le verra obéit à des règles strictes. Enfin, cinq semaines avant, on entre dans une phase de saturation médiatique, spots tv, pubs dans la presse, billboards, etc. Pour les amateurs, l’article précise la répartition budgétaire qui est faite entre les différents médias.
Revenons au à l’audience, le public. Un film ne rencontre plus son audience. Aujourd’hui, pour trouver un financement à son film, mieux vaut arriver avec un bon business-plan ! La façon la plus commune de segmenter le public consiste à le diviser en quatre quarts : les hommes de moins de 25 ans et ceux plus âgés, et idem côté féminin. Si vous n’avez pas au moins deux de ces segments, bonne chance pour trouver un producteur… A titre d’exemple, Pirates des Caraïbes, c’est le jackpot sur les quatre quarts.
Ensuite, les marketeurs ont plusieurs règles d’or qui vont présider à la réussite d’un film. En voici quelques unes.
  • « Can’t we get along ? ». Ou comment ne pas se couper de la moitié de son public potentiel : “In “Stomp the Yard,” which was about an urban street dancer who goes to college, the poster showed the African-American hero with his back turned, leaving his race indeterminate.”
  • “If the poster shows a poster child, the movie is for kids”. L’affiche doit immédiatement indiquer le genre de film. « Horror posters, for instance, have dark backgrounds; comedies have white backgrounds with the title and copy line in red. Because stars are supposed to open the film, and because they have contractual approval of how they appear on the poster”
  • “Everybody’s a comedian”. Tout drame avec une scène drôle devient une comédie. « Any drama with at least three funny moments in it will be portrayed, in the trailer and TV spots, as a comedy.”
  • “If it’s called “The Squid and the Whale”, it’s somebody else problem”. Faites des titres de film qui soient parlant. “If a movie’s title and stars don’t tell you almost everything you need to know about a film—“Get Smart,” starring Steve Carell, say—marketers worry.
  • “Always cheat death”. La mort n’est pas vendeur. « People die in movies; they almost never die in trailers. They are courageous (“The Express”) or missing (“Changeling”) or profoundly alive (“Revolutionary Road”).”

Ouf, reste encore à s’assurer que le film va plaire au public. Et là, comme pour quasiment n’importe quel produit ou publicité aujourd’hui, on fait appel à des focus groupes et des tests screening. Sachant que les tests, et tous les publicitaires vous le diront, c’est à prendre avec des pincettes. Ainsi Pulp Fiction a eu les pires résultats de tests dans l’histoire du studio qui l’a produit…
Enfin, ne pas oublier les bonnes vieilles ficelles qui vont rappeler au public que le film à venir va leur rappeler un précédent film, qu’ils ont forcément apprécié : c’est le rôle du fameux « from the director/producer of ».
Le fameux trailer, qui doit mettre l’eau à la bouche, est l’enjeu de subtils équilibres. Découpé en général en trois actes qui résument le film, il faut veiller par exemple à ne pas le monter trop rapidement, au risque de donner l’impression de vouloir cacher quelque chose…Une scène de 10-15 secondes sera parfaite pour y remédier. Et si le film n’est pas terrible, il faut s’arranger.
Comme le dit avec franchise David Schneiderman, spécialisé en montage de trailers : « We’re in the business of cheating, let’s face it. We fix voice-overs, create dialogue to clear up a story, use stock footage. We give pushup bras to flat-chested girls, take people’s eyes and put them where we want them. And sometimes it works. »
A la sortie du film, on se penchera aussi avec attention sur le taux de notoriété spontanée du film, avant d’en tirer des indicateurs sur son potentiel financier.
Bon ben voilà, bon film !

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