Parfois dans Warkéré, des sentiments sont personnifiés, se disputent, se moquent, se tendent des pièges… Découvrez comment, insolente et capricieuse, dame Fierté-Digneté a résisté au milieu de dame Pauvreté, aux autres forces diaboliques.
Je vous invite à lire ou relire ce billet.
C’est Lorsque Warkéré plaça sa bassine sous la gouttière de sa demeure en banco dans l'espoir de recueillir l'eau de pluie pour abreuver deux chèvres, un âne, un arbre, quelques moineaux et elle même, qu'elle entendit l’exclamation de sa voisine Dado, s'adressant à elle admirative : « Ah, si seulement je pouvais échanger mes cheveux contre les tiens ! ».
Sans daigner regarder Dado, d’un geste rapide et précis, Warkéré fourra ses longues tresses sous son missoor pour les dissimuler avant de toiser le ciel pour savoir si les nuages d’eau se décideront ou pas à verser leur liquide.
Dado très vexée par le geste de Warkéré qu’elle interpréta comme signifiant qu’elle est une sukugna (sorcière) à la langue maléfique, alla raconter cet affront à Gorgol, une classe d’âge de Warkéré.
Gorgol, haussant la tête lui dit :
« Encore heureux pour toi que Warkéré se soit limitée à ce geste. Sais-tu seulement ce que son mari, un véritable almuudo ngay (chansonnier) avait répliqué à une médisante trouvant que Warkéré ne méritait pas des cheveux aussi beaux ?
Il s’adressa à elle en ces propos : « Si à chaque fois que tu arraches les poils de tes aisselles et de ton dessous de pagne, tu les conserves, tu auras de quoi rallonger tes tresses jusqu’ au talon !"
A présent Dado, tu comprends pourquoi Warkéré est une gopaado (marginalisée). D’ailleurs même Dieu l'a abandonnée, car elle n’a jamais eu d’enfant. Elle n'avait que 33 ans quand elle a perdu son mari, elle approche les 70 ans et n'a jamais voulu se remarier. Cette femme attire chez elle et en elle le malheur et la misère. Oublie-la et ne te plains surtout pas de ses actes.»
Warkéré, s’est-elle plaint de quelque chose ? Personne ne peut l'affirmer. Son visage n’incite à aucune familiarité, et si ses états d’âmes devaient transparaître, ce n’est sûrement pas sur un endroit visible aux autres.
Si certains comparent Warkéré à une tewdda (girafe) à cause de sa grande taille, d'autres disent qu'elle a la noirceur hideuse de la carpe des marigots, opposée à la noirceur sublimée, qui rappelle un tatouage de Dieu. (bawli yuumdi nanddi e fino allah).
Rares sont ceux qui la croisent dans les cérémonies de deuil. De même personne ne la verra dans les mariages et les baptêmes où elle ne met jamais les pieds.
Warkéré ne se déplace guère pour saluer ses proches de retour de longs voyages, pour éviter d’être confondue avec les gens qui viennent dans l’espoir d’obtenir un pagne, une part de savon ou une petite somme en guise de cadeau. N’a-t-elle pas elle même cultivé toujours son champs sans jamais accepter l’aide de personne ?
On eut dit que son corps d’athlète n’était voué qu’à des actions, et que sa mémoire pourtant fabuleuse ne retenait que ce qui pouvait nuire à sa fierté.
Tout ce que Warkéré acceptait était les sommes que son neveu glissait discrètement sous sa natte sans l’encombrer des interminables salutations d’usage, ni attendre d’elle en retour des remerciements et des bénédictions. Ce neveu a même osé braver son épouse pour imposer le prénom préhistorique de Warkéré à sa dernière fille et interdire à quiconque de la nommer autrement… surtout pas par Bébé Jolie, Petit Bijou, Bébé Chérie et autres « prénoms » déjà collés à ses aînées.
La petite Warkéré échappa ainsi à ces fameux prénoms qu’elle risquait de traîner jusqu’à avoir des enfants à son tour et au delà. Et les grands-parents furent soulagés pour une fois de ne pas avoir à livrer de combats pour imposer le vrai prénom.
C’est seulement à la mort de Warkéré qu’on découvrit toutes les sommes que le neveu lui laissait. Elles étaient soigneusement attachées dans un pan de pagne rangé au fond d’une vieille malle.
Le neveu comprit alors que sa tante avait beaucoup pris sur elle pour accepter ces montants. Elle qui ne voulait rien de personne, manifestait par ce geste une affection sincère, révélant ainsi qu’elle avait apprécié que son neveu ait donné de bon cœur son prénom à sa fille.
La tendance qui veut que l'homonyme soit en général un nanti ou un notable, excluait des gens comme Warkéré. Mais le neveu avait décelé ce qui fut entre les richesses, la richesse de sa tante. Sans nul doute, cette dernière a dû mener un âpre combat pour résister à la redoutable richesse qui domine et anéantit toutes les autres.
Seule la Fierté emprisonnée jusqu’à étouffer dans le corps de Warkéré au milieu de ses contraires qui déployaient leurs forces pour la maudire, et juraient de l’étrangler chaque instant depuis plus de 60 ans, peut témoigner de cette difficulté de se dresser contre les pouvoirs si féroces et si efficaces de la richesse dominante.
Warkéré aurait-elle destiné ces sommes en héritage à son homonyme ? Nul ne le saura. Par contre tout le monde sait que Warkéré n’avait rien de plus précieux que sa fierté.
Safi Ba
A ma tante M'Berla Ba