Remarques sur le nouveau rapport du NIC: « Global trend 2025 : A transformed world »
Le rapport du National Intelligence Council (NIC), qui rassemble un grand nombre d’experts mondiaux (principalement anglo-saxons) en matière de renseignement économique et stratégique, tente d’analyser dans quel état sera le monde dans 17 ans. Quelle gageure lorsqu’on connaît les difficultés à prévoir les trois prochaines années !
Sun Tse dans son Art de la guerre note : « Qu’une connaissance anticipée ne peut être obtenue par l’intermédiaire des fantômes et des esprits, ni être déduite des évènements, ni être le fruit de calculs. Elle ne peut être obtenue que de ceux qui savent ». (1) Le « savoir » est une arme qui a toujours été très bien utilisée par les anglo-saxons. Alors pourquoi éditer une somme de connaissances telles que ce rapport, sans avoir en tête autre chose qu’une simple envie de partager des informations stratégiques ?
Qu’est ce que le NIC ?
Historiquement issu de l’Office of Reports and Estimates (ORE), créé en 1946 à l’aube de la Guerre Froide, le NIC fournit depuis 1979 des rapports d’analyse sur l’état du monde. Pour mieux comprendre ce que représente l’importance de la portée des écrits du NIC, il faut les mettre en perspective. Cet organisme a validé seul tous les rapports (2) sauf celui de 2025. La nouveauté dans ce dernier est l’apparition, en tant que co-rédacteur, du Director of National Intelligence (DNI) (3), à savoir le grand patron de l’Intelligence Community (IC), regroupant tous les centres de renseignement des Etats-Unis issus de chacune des armes. Notons que le directeur, Mike McConnell, a été avant cela, vice-président de la société Booz Allen Hamilton et auparavant Directeur de la National Security Agency (NSA).
« Le futur n’est plus ce qu’il était » (4)
Tout ce que décrit le rapport, mis à part quelques détails, n’a pas échappé aux analystes du monde entier. La critique ne porte donc pas sur le fond qui est éminemment pertinent, mais sur la forme et surtout ses objectifs. Le rapport analyse et présente ce qui se veut une vision du futur (prévisions pour 2025). Son seul défaut, et il est majeur, est qu’il dépeint le monde actuel, car l’humain ne peut faire autrement que de projeter dans le futur ce qui se déroule dans le présent.
Apparemment, cela ne choque personne, en France, de lire un rapport estampillé du logo de l’Office of Director of National Intelligence, avec en guise d’introduction : « ce rapport fut rédigé afin d’aider les dirigeants des pays à décider ». Rappelons tout de même qu’Alexandre Adler note dans son Rapport de la CIA, comment sera le monde en 2020 que le NIC est un organisme consultatif composé pour l’essentiel de « diplomates, d’officiers du renseignement issus de la CIA […] et de militaires, qui a pour but de faciliter les synthèses et de promouvoir les recherches fondamentales en matière de renseignement ». Il spécifie aussi que ces analystes ont pour but d’alimenter les prospectives de la CIA ainsi que celle du sommet de l’exécutif tel que la Présidence.
Évidemment, on nous prévient dès l’introduction : ceci est un rapport sur des tendances très générales, où l’on essaye de découvrir les facteurs dessinant les contours d’évènements et en aucun cas de prédire l’avenir. Mais à quoi sert-il alors ?
La majorité des groupes de réflexions ayant aidé à la rédaction de ce rapport sont des think tanks américains dont certains sont des groupes connus (5) pour leurs objectifs clairement affichés : la promotion et la définition de la place des Etats-Unis dans le monde.
Certes, ce genre de rapport ne peut pas être exhaustif en matière de scénarii. La crise boursière, de juillet 2008, qui fut majeure, n’a pas été analysée et anticipée en amont dans le dernier rapport de 2020. A aucun moment il ne décrypte l’arrivée possible d’un leader comme Barack Obama à la Présidence, tournant majeur dans la politique intérieure américaine. Ajoutons que dans le rapport 2010 (6), le NIC prévoit une Russie au pouvoir central usé et sans réel avenir en termes de projection de puissance. Nassim N. Taleb illustre ces propos à la perfection, « ce qui importe ce n’est pas le nombre de fois où vous avez raison, mais l’ampleur de vos erreurs cumulées ». (7)
Alors pourquoi les services de renseignement américains, font-ils tout ça ? Plusieurs démarches peuvent être déduites. La première qui nous vient à l’esprit est la désinformation. Mais en recoupant le contenu du rapport, rien ne laisse transparaître une telle affirmation. La deuxième est l’action d’influence. Si l’on regarde de plus près une définition de l’influence communément admise - amener efficacement les autres à se ranger à son avis ou à agir dans un sens souhaité -ce rapport s’inscrit dans cette démarche.
De fait, la gratuité de l’édition d’une telle masse de connaissance par les services de renseignement les plus puissants du monde peut nous laisser dubitatif. De surcroît, les Américains n’en sont pas à leur coup d’essai en matière d’influence. Durant la guerre froide, la CIA a investi des sommes colossales, sur une période importante, dans un projet secret, appelé le « Congrès pour la liberté de la culture ». Ce dernier visait à mettre sur pied un programme de propagande et d’influence à travers la culture en France et en Europe .
Les Etats-Unis ont donc la capacité, l’expérience et surtout la volonté politique de mener à bien une telle entreprise. Ils ont aussi compris que la seule façon de rester « aux commandes », est de se placer parmi ceux qui écrivent LA vérité. En outre, ils nous envoient un message fort : le pays capable de comprendre et d’anticiper le futur, de le mettre à disposition de tous et de rassembler autant de têtes pensantes, ne peut pas se tromper.
Ils seront donc toujours lus et écoutés même si c’est pour être critiqué par la suite. In fine, cette action nous influencera d’une façon ou d’une autre. Le fait qu’ils aient l’initiative nous impose de réagir en expliquant notre propre vision du monde.
SAM
- « L’art de la guerre », Sun Tse, Edition le Courrier du Livre, 2007.
- Les rapports global trends 2010, 2015 et celui de 2020.
- Le DNI est le principal conseiller en matière de renseignement auprès du Président des Etats-Unis. L’Office of the Director of National Intelligence (ODNI) créé depuis peu, permet à M. McConnell de diriger l’IC avec efficacité. D’après le rapport officiel déterminant la fonction de l’ODNI : « le NIC est une composante clé du ODNI […] depuis 1979, le NIC a servi d’unique passerelle entre le Renseignement et le politique ».
- P. 186, « Le cygne noir : la puissance de l’imprévisible », Nassim Nicolas Taleb, Paris, Belles Lettres 2008.
- Atlantic Council of the United States, Council on Foreign Relations, Chatham house, Rand Corporation, etc.
- Rapport écrit en 1997.
- P. 204, « Le cygne noir : la puissance de l’imprévisible », Nassim Nicolas Taleb.