Par Damien Roets, membre du Conseil d’administration d’Epilepsie-France
Le 23 août dernier, en présence de Xavier Bertrand, ministre du Travail, des Relations Sociales et de la Solidarité, et de Valérie Liétard, secrétaire d’Etat en charge de la Solidarité, Xavier Darcos, ministre de l’Education nationale recevait les membres du Comité d’entente des associations représentatives des personnes handicapées et des parents d’enfants handicapés pour leur présenter les mesures du plan d’action lancé le 8 août (création d’un numéro Azur « handicapécole », création de 2700 postes supplémentaires d’auxiliaires de vie scolaire individuels et de 200 Unités pédagogiques d’intégration supplémentaires, amélioration de la formation des auxiliaires de vie scolaire) et engager une concertation avec les partenaires associatifs sur la question sensible de la scolarisation des enfants handicapés. Si l’on ne peut qu’approuver les mesures prises - quoique l’expérience incite à la prudence quant à la réalité et à la qualité de leur mise en œuvre -, un certain nombre de malentendus subsistent.
Il importe tout d’abord de souligner que la question de la scolarisation des enfants handicapés ne peut être abordée que dans la perspective large de leur droit à une éducation visant à atteindre, dans la mesure du possible, compte tenu de la nature et de la gravité de leur handicap, les objectifs visés à l’article L. 111-1, al. 4, du Code de l’éducation (développement de la personnalité, élévation du niveau de formation, insertion dans la vie sociale et professionnelle et exercice de la citoyenneté) et, donc, à les faire accéder à un maximum d’autonomie (v. not. en ce sens l’article 19 de la Convention de l’ONU du 13 décembre 2006 sur les droits des personnes handicapées). Pour les enfants handicapés, et en particulier pour ceux souffrant d’une altération substantielle, durable ou définitive, d'une ou plusieurs fonctions mentales, cognitives ou psychiques, il s’agit de trouver la meilleure solution éducative possible au regard de leur intérêt supérieur (milieu ordinaire et/ou spécialisé, avec prise en charge précoce avant l’âge de 3 ans). Il convient notamment de se garder de toute approche dogmatique qui consisterait à présenter la scolarisation en milieu ordinaire comme la panacée. Ainsi, pour que le droit à l’éducation des enfants handicapés ne soit pas théorique et illusoire, mais concret et effectif, l’Etat français, conformément à divers de ses engagements internationaux, a l’obligation de prendre toutes les dispositions normatives et budgétaires nécessaires aux fins d’offrir un nombre suffisant de places dans des structures spécialisées (en ce sens, v. Comité européen des droits sociaux, 4 nov. 2003, Autisme-Europe c/ France, réclamation n° 13/2002). Aujourd’hui encore, trop d’enfants handicapés ne bénéficient d’aucune éducation, faute de pouvoir être accueillis dans de telles structures. Est-il besoin de rappeler le drame que ce genre de situation constitue pour les enfants et les familles concernées (évolution défavorable de l’enfant, cessation de l’activité professionnelle de l’un des parents – souvent la mère -, dépressions nerveuses…) ?!
Malentendu plus gênant encore, au cours de la réunion du 23 août, Xavier Darcos a cru bon de rappeler l’engagement du Président de la République de créer un véritable « droit opposable à la scolarisation » pour l’enfant handicapé, droit censé lui permettre de « trouver une solution adaptée à ses besoins particuliers » (communiqué de presse du Ministère de l’Education nationale du 23 août 2007). En effet, le 2 mai 2007, lors du débat l’opposant à Ségolène Royal, le candidat Sarkozy affirmait : « Je veux créer un droit opposable. Cela veut dire quoi ? Qu’une famille, au bout de cinq ans [sic !] à qui on refuserait une place dans une école, pourrait aller devant un tribunal en disant : la République m’a promis un droit […] », et le 9 juin 2007, lors du 47ème congrès de l’Unapei, à Tours, le Président Sarkozy annonçait qu’il rendrait « opposable le droit de tout enfant handicapé d’être scolarisé dans l’école de son quartier ». Il faut le dire et le redire : le droit à la scolarisation des enfants handicapés est clairement consacré depuis l’entrée en vigueur de la loi du 11 février 2005. Ainsi, l’article L. 112-1, al. 1 et 2, du Code de l’éducation dispose :
« Pour satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles L. 111-1 et L. 111-2 [relatifs au droit à l’éducation], le service public de l'éducation assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés.
Tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l'école ou dans l'un des établissements mentionnés à l'article L. 351-1, le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence ».
Ce droit est par hypothèse opposable à l’Etat (et sans qu’il soit besoin d’attendre cinq longues années !), comme en atteste, par exemple, un jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 29 septembre 2005. Le droit à la scolarisation (et, plus largement, à l’éducation) des enfants et adolescents handicapés, par essence « opposable », existe donc bel et bien. Les responsables politiques – dont le premier d’entre eux -, plutôt que de faire de la « com » en usant d’un adjectif en l’occurrence aussi accrocheur et qu’inutile, feraient mieux de s’interroger sur le peu d’actions engagées devant le juge administratif par des parents découragés et épuisés (et de s’inquiéter de la possible mise en œuvre, demain, de véritables stratégies juridictionnelles par certaines associations…).
La question n’est en réalité pas tant celle de l’opposabilité du droit à l’éducation des enfants handicapés que celle de son effectivité. De ce point de vue, et parmi de nombreuses difficultés persistantes, la question des effectifs est posée (et, à ce jour, sans réponse satisfaisante…). Comment prétendre accueillir un maximum d’enfants handicapés en milieu ordinaire dans des classes de plus de vingt élèves ?! Il faudra, en outre, que soit tôt ou tard réglée la question du temps périscolaire : les enfants handicapés, pour leur confort et celui de leurs parents, doivent pouvoir être accueillis dans les restaurants scolaires et dans les garderies de fin d’après-midi (si besoin est, il faudra modifier le Code général des collectivités territoriales pour que les collectivités concernées – au premier rang desquelles, les communes – prennent leur part dans cette politique de scolarisation des enfants handicapés). Il faut encore espérer que, comme s’y sont engagés Xavier Bertrand et Valérie Liétard, l’articulation entre milieu ordinaire et milieu spécialisé (ou « adapté ») sera réellement pensée et organisée (avec les moyens financiers nécessaires…). Enfin, last but not least, rien sera possible sans une formation adaptée, initiale et continue, des enseignants concernés par l’accueil d’enfants handicapés.
Dans une société civilisée, le droit fondamental à l’éducation des enfants et adolescents handicapés, constitue, à l’évidence, un enjeu primordial. Encore faut-il que les autorités publiques l’envisagent dans toute sa complexité et lui consacrent un budget digne de ce nom.