On ne peut pas parler de l'Italie sans parler de la mafia. Mais aujourd'hui, plus que jamais, la mafia est aux commandes en Italie, aux affaires, dirons-nous, où le visage de la mafia, de la collusion, de la P2, apparaît fièrement, au grand jour (plus question de se cacher, et pourtant...), sous les traits de Silvio Berlusconi, ex-apprenti maçon devenu bâtisseur comme actuel président du Conseil des ministres, ou de Renato Schifani, actuel président du Sénat, déjà cités devant les tribunaux italiens pour corruption (Berlusconi) ou suspectés d'être proches de la mafia, ou encore des dizaines et des dizaines de politiques actuellement au parlement, tous partis confondus. Transversalité oblige !
Sans compter les imprésentables, tout aussi nombreux, absents du parlement mais bien là dans les rouages des appareils politiques nationaux, régionaux, locaux, administratifs, etc.
Le tout dans une machinerie bien huilée, un fascisme rampant, un pizzo permanent, une désinformation parfaitement efficiente, organisée, ce que Marco Travaglio appelle la machine du complot perpétuel (en citant notamment le cas emblématique de Clemente Mastella, ex-Ministre de la Justice, accusé de 7 graves chefs d'inculpation dans le cadre d'une seule affaire !!!) (ce même Mastella qui a utilisé comme prétexte cette même affaire pour faire tomber le précédent gouvernement Prodi, un geste fort apprécié qui lui a valu l'éternelle reconnaissance de ... Silvio, puisqu'il est aujourd'hui sur les listes européennes du parti de ... Berlusconi !!!) (donc avec un peu de chance on le verra à Strasbourg, comme quoi l'Italie n'exporte pas que la pizza...).
Avec à ce funeste tableau les exceptions qu'il se doit, et notamment le parti d'Antonio Di Pietro, Italia dei Valori. Que ses adversaires tentent sans vergogne de décrédibiliser par tous les moyens, en l'accusant de "protagonisme", de populisme, d'être réactionnaire, de vouloir la potence à tout prix (forcaiolo) etc., en un mot d'être "justitialiste". "Justitialisme", c'est le grand mot, le gros mot. Une fois qu'ils l'ont dit, ils ont tout dit. Les justitialistes d'un côté, Berlusconi persécuté de l'autre, mis en croix :
Je suis le Jésus-Christ de la politique, une victime patiente, qui se sacrifie pour les autres (Io il Gesù della politica, una vittima paziente, mi sacrifico per tutti)...
En attendant, ça ne l'empêche pas de détruire le peu qui reste de démocratie dans ce pays, de façon méthodique, acharnée, constante, systématique, avec une effronterie qui n'a d'égale que son cynisme, aussi incommensurable que son orgueil. Sous les yeux de tous. Italiens. Européens. Américains. Ce n'est pas une surprise, la chose est annoncée depuis longtemps et a largement dépassé les frontières de la péninsule.
Le tournant historique de l'Italie a eu lieu fin des années 80, début des années 90. Notamment avec l'opération Mains Propres. L'alternative qui s'offrait alors au pays, c'était de bâtir une seconde République sur de nouvelles bases, ce qui fut fait ensuite avec l'entrée en jeu de Berlusconi.
Malheureusement, entre les deux options, c'était la mauvaise. Et même pire. Après l'assassinat du juge Falcone, celui de Paolo Borsellino marque la fin des espoirs démocratiques pour ce pays et le début d'une alliance entre l'état italien et la mafia, chose que n'aurait jamais accepté Borsellino. D'où la nécessité impérieuse de l'éliminer.
Vous croyez que c'est moi qui m'invente ces histoires ? Voici un extrait du jugement de la Cour d'Assises de Caltanissetta au procès "Borsellino ter
" :
C'est justement pour faciliter la mise en place de nouveaux contacts au niveau politique qu'il fallait éliminer tous ceux qui, comme Borsellino, auraient découragé toute tentative d'approche avec Cosa Nostra et de régression dans la lutte contre la mafia, ceux qui se seraient levés pour dénoncer, même publiquement, du haut de leur prestige professionnel et de la noblesse de leur engagement civil, tout recul de l'état ou de ses composantes politiques.
Proprio per agevolare la creazione di nuovi contatti politici occorreva eliminare chi, come Borsellino, avrebbe scoraggiato qualsiasi tentativo di approccio con Cosa Nostra e di arretramento dell'attività di contrasto alla mafia levandosi a denunciare, anche pubblicamente, dall'alto del suo prestigio professionale e della nobiltà del suo impegno civile ogni cedimento dello stato o di sue componenti politiche.
Roberto Scarpinato, juge antimafia qui a travaillé avec Falcone et Borsellino, entre autres, l'explique clairement, aussi bien dans un livre qu'il vient de publier que dans cette intervention (il y a une semaine...) :
Où il déclare explicitement qu'il ne peut plus assister aux commémorations organisées le 23 mai et le 19 juillet de chaque année en grandes pompes par l'état, car il ne supporte plus de se trouver aux côtés des commanditaires mêmes de l'assassinat de Borsellino, un crime d'état. Toute la teneur de l'intervention est terrible, en voici un extrait, ses propres mots, textuels (à 3'50'') :
Vi confesso che da qualche tempo ho difficoltà, a partecipare il 23 maggio e il 19 luglio alle ceremonie per l'anniversario delle stragi di Capaci e di Via d'Amelio, perché quando vedo in prima fila, a rappresentare lo stato, personnaggi sotto processo o condannati per mafia o per corruzione, io, credo, non mi sento di poter stare in quella stessa chiesa, non mi sento di poter stare in quello stesso palazzo, e mi chiedo: "ma quando potranno i nostri ragazzi credere in uno stato che ha queste facce"...
Traduction :
Je vous avoue que depuis un certain temps déjà, il m'est difficile de participer le 23 mai et le 19 juillet aux cérémonies pour l'anniversaire des massacres de Capaci et de Via d'Amelio, car lorsque je vois au premier rang, en tant que représentants de l'état, des personnages ayant des procès pendants ou condamnés pour mafia ou pour corruption, je crois, je ne me sens pas la force d'être à côté d'eux dans la même église, dans les mêmes palais de la république, et je me demande : "mais comment et quand nos fils et nos filles pourront-ils jamais croire à un état ayant ces visages-là"...
Et il insiste sur "un état ayant ces visages-là" en les pointant virtuellement du doigt...
Suivez mon regard ou revenez aux premiers paragraphes de ce billet.
[La chose avait déjà été dénoncée en ... 1983 par Giuseppe Fava, considéré le premier journaliste-intellectuel sicilien assassiné par Cosa nostra une semaine après avoir prononcé ces mots : « Les vrais mafieux, ils sont au Parlement, tantôt ministres, tantôt banquiers, ce sont ceux qui occupent en ce moment-même les sommets de l'état-nation » (I mafiosi stanno in Parlamento, sono a volte ministri, sono banchieri, sono quelli che in questo momento sono ai vertici della nazione).]
Donc, comme vous le voyez, en 25 ans, non seulement la société italienne en est toujours au même point, mais en plus elle régresse fortement dans la voie de la légalité.
Car Roberto Scarpinato, ce n'est pas le premier plouc venu qui parle, mais un juge reconnu qui combat la mafia depuis plus de 20 ans. Des massacres définitivement archivés par les pouvoirs en place en dépit de nombreuses preuves et pistes délibérément passées aux oubliettes, ce qui a fait hurler le frère de Paolo Borsellino à la mort de la justice en Italie. Condamnés au silence ! Son analyse de la situation, il y a un mois, ne laisse d'ailleurs place à aucun doute...
À l'époque, les siciliens non plus n'avaient aucun doute, voyez la foule en colère aux funérailles des agents de l'escorte de Borsellino, qui s'en prend aux politiques en hurlant "Fuori la mafia dallo stato, fuori la mafia dallo stato" (chassons la mafia de l'état) :
En 2009, ils sont toujours là, et bien là, arrogants plus que jamais et sûrs de leur impunité...
Mais des massacres sur lesquels Gioacchino Genchi nous annonce du nouveau, et vous pouvez croire que ça risque de faire du bruit en dépit de l'omertà ambiante généralisée. Antonio Di Pietro a d'ores et déjà annoncé une interrogation parlementaire sur les révélations de Genchi. Du reste, ça se précise (téléchargez la doc annexe, ça vaut son pesant d'or)...
L'heure des règlements de compte arrive, et le choc qui s'annonce sera chaud, brûlant, même. Si tout ce qui se passe ici se passait en France, le pays serait déjà à feu et à sang.
Donc je le dis clairement à tous les français et francophones qui lisent ce blog : dans les jours, les semaines et les mois qui viennent, vous risquez d'entendre parler de l'Italie de plus en plus souvent. Comptez sur moi pour vous tenir au courant.
Jean-Marie Le Ray