L'ironie du sort veut que l'exposition Les désordres du plaisir présentant une sélection d'oeuvres de la collection Daniel Cordier soit localisée à proximité de l'exposition Vides au Centre Pompidou.
Une distance abyssale, pourtant, les sépare.
L'exposition sur les donations Daniel Cordier débute par cette oeuvre en feutre de Robert Morris près de laquelle se dressent des margelles de puits Peul, dressées, érigées, détournées comme je l'avais déjà remarquée dans une galerie en 2006.
La suite est un incroyable mélange d'objets, presque dans la nature des cabinets de curiosité, serions-nous ainsi tentés de le qualifier.Un petit cabinet de naturalia est même reconstitué.
Une vitrine de haches de pierre de Papouasie-Nouvelle-Guinée exhibe des objets précieux face à des masques de tissus, de toile de jute de Michel Nedjar dont le titre Chair d'âme pourrait parfaitement sous-titrer cette exposition.
Près d'eux, un tableau-emblème du Nigeria, dédié au culte du léopard que j'évoquais, il y a peu, dans le cadre de L'Informe dans l'art africain, les côtoient dans cette juxtaposition extraordinaire de matériaux et de formes précisément.
Ailleurs, c'est un tableau de Simon Hantai qui fait écho à ce qui est posé sur le sol. Des os gigantesques (de cétacés peut-être ?), des socles
Tout un ensemble de « ready-made » (me préparant à un autre langage), mais je parlerai plutôt ici de superbe fatras jubilatoire, se donne ainsi au visiteur.
Suppositions encore lorsque je parcours les quelques mètres qui me conduisent à Vides. Une rétrospective. Je m'interrogeais dans les derniers billets sur l'informe et là, qu'y aurait-il ?
Du blanc sur blanc ?
Je pensais bien qu'on retrouverait le « geste inaugural » de Klein qui avait peint en blanc l'intérieur d'une galerie. À l'époque, il s'agissait de La spécialisation de la sensibilité à l'état matière première en sensibilité picturale stabilisée.
C'est effectivement le sujet de la première salle...
Après, j'avoue ne pas avoir été à la hauteur du néant, du désert intellectuel dans lequel, je pense, avoir été plongée.
Les textes du « couloir », sas de bouffée d'oxygène en ces profondeurs abyssales, osent expliquer les démarches conceptuelles des différents artistes, aux pauvres noyés comme moi, se débattant dans le Rien.
Quelques lignes jetées, bouées de sauvetage rendues improbables par une écriture pompeuse, expliquent le Geste artistique propre à chaque créateur.
Le catalogue de plus de 500 pages, lui, semble intéressant car recontextualise les démarches et propose des essais. Il constitue paradoxalement un onéreux pavé pour accéder à des réflexions sur le rien, l'invisible, le vide...
Je m'en retourne vers Les désordres du plaisir, me gavant des mille et un objets, me rassurant. Une exposition n'avait jamais aussi bien porté son nom !
Souriant, je me racontais le début d'une histoire de Raymond Devos :
« Mesdames et messieurs ... Je vous signale tout de suite que je vais parler pour ne rien dire.
Oh ! je sais ! Vous pensez : « S'il n'a rien à dire ... il ferait mieux de se taire !»
Évidemment ! Mais c'est trop facile ! ... c'est trop facile !
Vous voudriez que je fasse comme tout ceux qui n'ont rien à dire et qui le gardent pour eux ?
Eh bien non ! Mesdames et messieurs, moi, lorsque je n'ai rien à dire, je veux qu'on le sache !
Je veux en faire profiter les autres !...»
En parfaite iconoclaste, je trouvais là simplement le discours qui se suffirait à lui-même pour introduire la monstration de 9 expositions qui n'ont jamais rien montré !
Aurais-je raté ce rien d'humour que doivent posséder les commissaires de cette exposition ?
Ne faut-il pas plutôt le considérer sur ce ton à défaut d'y voir une insulte ?
Photo 1 : © Brassai, Graffiti ; Naissance du visage, Belleville, 1952.
Photo 2 : © Robert Morris, Wall Hanging, 1969.
Photo 3 : Margelles de puits Niger, © Galerie Noir d'Ivoire, 2006.
Photo 4 : © Michel Nedjar, Masque Chair d'âme (1980-1983).
Photo 5 : © Simon Hantai, Peinture, 1952.
Photo 6 : © Oeuvre de l'auteur, Copyright Untitled 1, 2009.
Photo 7 : © Dado, Le cycliste, 1955.