La patience a atteint ses limites. Du rapport Martre aux rapports Carayon, une longue marche s’est écoulée, pas à pas, pour tenter de faire avancer un vieux pays à bout de souffle. Le constat est amer. Malgré les effets d’annonce, la haute administration et le patronat sont restés sur leurs vieilles lignes Maginot respectives. L’administration a fait semblant de prendre en compte cette problématique en se saisissant de quelques dossiers par an. Les directeurs de cabinet des grands ministères avaient d’autres soucis plus prioritaires que ces anecdotes sur la sécurité économique. Quant au patronat, il s’est enfermé dans une logique du chacun pour soi qui était l’aboutissement d’un processus historique entamé au milieu du XIXème siècle lorsque l’empire britannique a réussi a brisé nos dernières lignes de défense en matière de stratégie de puissance élaborées par Napoléon et maintenues sous la Restauration. Les mesures prises depuis plusieurs années par les gouvernements Villepin et Fillion ne sont que des petits pas furtifs sans réel impact stratégique.
L’ébranlement du système capitaliste mondial est un choc tellurique qui a balayé d’un revers de sabre les moues de dédain des technocrates ancrés à la réussite du modèle économique américain. Ces mêmes personnes qui ont tenu les destinées de l’économie française sont aujourd’hui devant le bilan de leur non pensée, en situation d’échec, et espérons-le pour les générations futures, seulement en situation d’échec. La France avait besoin, depuis le départ du général de Gaulle en 1969, d’une redéfinition de sa stratégie de puissance. Il n’en a rien été. Les Présidents qui lui ont succédé ont géré les affaires courantes sans définir aucune autre vision de rebond. La perte de puissance des Etats-Unis, si elle se confirme, va avoir des conséquences en dominos sur l’ensemble de l’équilibre géostratégique mondial.
La première sera de nature économique. Il ne faut pas s’appeler Daladier ou Chamberlain pour pronostiquer l’évidence qui nous attend : le système capitaliste mondial n’a jamais su, pour l’instant, trouver son rééquilibre passager sans des confrontations militaires majeures. N’oublions jamais que les Etats-Unis n’avaient pas trouvé d’issue pour sortir de la crise de 1929. Ces évidences qui ne sont pas bonnes à dire, ne doivent plus nous laisser indifférents. L’effondrement durable de positions industrielles en Amérique du Nord et en Europe aura des conséquences bien plus graves que le passage à vide du Japon durant une décennie. La gravité des faits implique de sortir de la langue de bois des économistes. Si nous avons encore la chance d’être dans une économie de paix, aucun technocrate de haut vol ne peut évacuer l’hypothèse de l’anticipation du pire. Or le pire est à notre porte. Le bon sens voudrait qu’on s’en préoccupe un minimum au lieu de faire de la communication électorale sur la réticence à parler de récession. Pour s’en sortir, la France a besoin de se mettre en position de combat et non de continuer à faire semblant de croire que tout est comme avant.
Nous sommes encore loin d’une telle prise de conscience. Les plus lucides des anciens prédisaient depuis le début des années 1980 qu’il faudrait prendre des coups excessivement durs pour que ce pays sorte enfin de ses illusions. L’heure n’a pas encore sonné mais l’aiguille de la pendule accélère. Les Allemands qui ont le courage de regarder la réalité en face se préparent à encaisser les contrecoups de leur baisse d’activité à l’international. En annonçant l’hypothèse d’un scénario alarmiste de 5 % de récession pour l’année 2009, Norbert Walter, chef économiste de la Deutsche Bank (déclaration au quotidien Bild, vendredi 20 février 2009) traduit à ce propos la nervosité qui gagne le monde économique d’outre-rhin. La France chaloupe aujourd’hui entre les écueils (déficit endémique du commerce extérieur, explosion du chômage, fragilité croissante de son tissu industriel de PME, incapacité de se redéployer vers l’Asie, effritement du niveau de vie de sa population, endettement aggravé de l’Etat et du poids de la dette, etc.). Le Titanic a rencontré moins d’icebergs. Les experts officiels restent campés sur la cotation quotidienne de Wall Street et sur les baromètres économiques. Ce choix informationnel ne rassure plus grand monde. La moindre rupture de digue (effondrement d’une zone économique, déstabilisation durable de monnaies nationales, convergence de crises sociales, fragilisation de zones réputées stables comme la Suède à cause des retraites indexées sur la Bourse) peut aujourd’hui engendrer des maux dont l’amplitude sera d’un tout autre niveau que la crise des Antilles. Le problème, c’est qu’une fois de plus, on se prépare à découvrir après coup qu’il y avait la trouée des Ardennes et qu’on n’y avait pas pensé. Dommage…