Comme un con j'exposais dans les commentaires d'Une belle inconnue mon enthousiasme à propos de la rédaction d'une théorie quant au caractère artistique inhérent à l'Homme. Comme un con, parce que l'envie m'est passée à l'idée d'avoir d'abord à discuter l'éventualité de l'existence d'une nature humaine (admettez-la, j'ai la flemme d'argumenter et c'est bien plus drôle ainsi). Passons. Le texte sera composé de trois parties, l'une en faveur de ce postulat, la seconde également dans cette direction, puis une dernière pour. Fermez-la, c'est la liberté d'expression.
Nous voilà donc en compagnie de Mademoiselle Première Partie, l'évidente, celle avec Kate Moss et Lindsay Lohan dedans, mais également le nez de Scarlett Johansson dans L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux et le front de votre aïeul le plus combatif. Attaquons avec Lindsay. Adolescents aveugles qui me lisez via Google (”dissertations philo”, on l'a tous cherché), c'est à vous que je m'adresse. Honnêtement, elle n'est pas très jolie. Juste mignonne, dans la bonne moyenne. Seulement, correctement (dé)sapée sa dégaine de fille underground paumée à la Edie Sedgwick / Jean Seberg lui offrit un relatif statut d'icône pop moderne en actualisant le tristement célèbre Last Sitting de Monroe. Depuis Lohan pose régulièrement– même le très occupé Hedi Slimane la shoote. La vérité c'est que n'importe quelle fille de cette même bonne moyenne aurait pu se retrouver à sa place, même cette euh, camarade de classe qui vous gonfle perpétuellement avec ses soucis de self-esteem alors qu'elle demande juste une dose d'endorphines (ne me remerciez pas).
En ce sens, tout 15/20 pour reprendre les mots de l'immortel Michel Poicard incarne un objet d'art potentiel puisque leur banal titille parfois jusqu'aux pairs de Warhol et Lichtenstein. Venons-en à Kate Moss, dont l'utilité ici me vaudra probablement une pluie de postillons haineux de la part de groupuscules frustrés anti-anorexiques.
Cette femme n'est pas vraiment belle au sens classique (lisez pré-elle) du terme : ses yeux sont légèrement excentrés, sa bouche asymétrique, son nez plutôt court et plat, ses hanches dramatiquement minces… étrangement toutefois l'ensemble fonctionne, si bien que le consensus la définit comme la plus belle modèle des temps modernes. En fait elle représente un canon de beauté si absolu que le génie plasticien Marc Quinn l'a reproduite en or massif dans une position yogi slash tantrique et du même coup approuvé la redéfinition de l'aspiration physique ultime en une femme dont la célébrité reste largement due à la prise de cocaïne. Ce que je veux dire par là c'est que la perception, l'avis que l'on porte vis-à-vis d'autrui évolue perpétuellement dans une direction collective ; dès lors tous les physiques “alternatifs” sont susceptibles de transcender leur épithète à tout instant, au moins aux yeux de ceux sensibles à la singularité. Nous avons couverts le charmant et le “subjectif total”, restent la partie inférieure et les laids, ce qui est très différent et généralement d'ailleurs antinomique.
L'histoire parle pour les physiques désavantageux. Des rides caverneuses de votre grand-mère au faciès extravagant de votre cousin campagnard, ils constituent, au même titre que ceux des gens communément désignés comme beaux les plus intéressants ; la preuve, les plus grands créatifs ne s'en lassent pas : souvent ces visages là sont évocateurs, un trait indubitablement source d'inspiration artistique. Les laids quant à eux ne sont pas forcément mal foutus mais foncièrement répugnants au demeurant, genre Vida Guerra, Amy-Winehouse-ah-oui-mais-non-Madonna et tout le casting de Baywatch. Leur physique correct mais ennuyeux n'intéressant jamais personne bien longtemps, il faut s'en référer à leur psychologie pour parvenir à les supporter en tant que concept et ouvrir la porte à des réflexions telles que “comment en sont-ils arrivés là”, “quelles sont leurs motivations” ou encore “quelle pute”, ce qui me projette vers une seconde partie orientée Sigmund Freud, ce héros. Note : les frères Bogdanoff s'inscrivent dans cette dernière catégorie, qui outrepasse celle convoquée en début de paragraphe.
En société on rencontre généralement trois archétypes de personnalités : l'auto-destructrice, la passive-agressive, et l'équilibrée. La première relève de manière irréfutable du caractère artistique : prenez Van Gogh ou Schiele par exemple, même écartés de leur ouvrage leurs mentaux demeurent des sujets de réflexion fascinants. La plupart des bons drames tournent autour de ce genre de personnage : le récent et prodigieux Two Lovers par exemple, relatant les actions saccadées et imprévisibles d'un Joaquin Phoenix encore imberbe et suggéré bipolaire (mais duquel parle-t'il ?), le cas le plus éloquent subsistant Eternal Sunshine of the Spotless Mind, un film dont on pourrait résumer les deux premiers tiers à “pour vivre heureux vivez détruits”. Le simple fait qu'il y ait tant à relater sur ce type de psyché me parait correctement figurer son auréole artistique. Les passifs-agressifs quant à eux se situent la plupart du temps de l'autre côté de la caméra (et en l'occurrence, du tableau). Prenez Woody Allen par exemple et ses personnages-cas d'école, ses scripts filets et en fait jusqu'à sa propre personne (vous savez, Soon-Yi Previn) : ce type est un pur produit de la mentalité judéo-new-yorkaise, en permanence sur la défensive, démesuré dans ses phases réactives sinon chiant comme la mort. Stanley Kubrick situa de manière intéressante la lisière entre ces deux états d'esprit : en effet, il souffrait d'agoraphobie et vivait reclus dans un manoir anglais ceint de quatre-vingt hectares de bois. Ses films suivirent généralement une rythmique extrêmement lente, dissimulant ou plutôt exhibant la violence brute de leurs scripts, une dualité retrouvée dans ses désormais célèbres parquets à damiers et arabesques dont le contraste évoquait le conflit intérieur permanent des protagonistes.
Cette opposition des univers se retrouve souvent chez les artistes contemporains, d'Haneke à Audrey Kawasaki et révèle je pense l'une des facettes primordiales du monde tel qu'on le connaît aujourd'hui : si ceux-là ne font pas l'unanimité leur oeuvre résonne en tout homme-réceptacle et démontre que chacun possède une sensibilité, une capacité d'interprétation et de donc d'expression / de réaction à l'art et en porte ainsi un certain flambeau, voire un flambeau certain. L'ultime personnalité reste la saine, la chiante, la vide ; et il est de notoriété publique que le vide captive, probablement pour les mêmes raisons que les laids de ma première partie.
Sincèrement je pensais suivre le plan annoncé en introduction en rédigeant une troisième partie louant la beauté de l'humanité en tant que tout mais au final le sujet est tellement pauvre que je vais m'arrêter là, et puis l'image au-dessous résume bien. Je vous laisse donc sur un twist parce que la vie est meilleure lorsqu'elle est pleine de surprises (et qu'on n'est pas un putain de passif-agressif, je vous l'accorde) mais dépose tout de même une conclusion objective : c'est désormais certain, la nature humaine est grave artistique. Allez, inspirez avant d'expirer, bitches.