La denrée médicale va devenir une entité rare et précieuse dans les années à venir.
Du fait d’un défaut d’anticipation par les pouvoirs publics de la diminution drastique du nombre de médecin dans les 10 ans à venir, répartir les médecins d’une part entre les spécialités et d’autre part entre les régions le moins inéquitablement possible est un défi de taille.
Dans ce contexte, quelles sont les spécialités sur lesquelles le gouvernement va pouvoir piocher pour monter l’armée de généraliste prêt à prendre l’assaut des régions les plus désertifiées du territoire ? les spécialités déjà minoritaires ou dont le service rendu est considéré comme secondaire au vu de la catastrophe annoncée et celles dont la réforme va permettre un exercice regroupé et donc plus économique en terme de personnel médical.
Comme pour illustrer ce propos, la dernière réunion de février 2009 présidée par M Ballereau se proposait de déterminer une méthode de travail afin d’évaluer le nombre de biologiste nécessaire sur le territoire pour les décennies à venir. Le préambule précisait qu’aucune tendance ne prévalait dans un sens comme dans un autre tant le problème était complexe.
En exercice actuellement, nous comptons 11000 biologistes. 7500 en libéral et 3500 hospitaliers. La moyenne d’age du biologiste se situant autour de 50 ans, c’est tout naturellement que l’espèce « biologiste » va devenir une espèce rare si aucun engagement ferme n’est pris. Et pour cause. La réforme annoncée prévoit un regroupement tel que l’on anticipe le la fermeture de 1000 laboratoires en France ainsi que la constitution de plateaux techniques automatisés économe en personnel.
Deux courants s’opposent donc. L’automatisation d’une profession d’un coté et sa médicalisation croissante souhaitée de l’autre. Concernant l’automatisation, elle ne date pas d’hier (nous ne sommes pas en train de vivre la révolution industrielle !) et d’autre part, elle est surtout économe en temps technicien, pas en temps biologiste pour qui un dossier à traiter est un dossier, automate ou non. Inutile de rappeler que bon nombre de spécialité ne relève pas d’automate comme la microbiologie par exemple. La médicalisation accrue annoncée de notre profession (discussion des prescriptions, conseil diagnostic et thérapeutique, commentaire systématique…) renforce au contraire les missions du biologiste, qui ne saurait faire du travail à la chaîne et passer de 50 à 100 ou 150 dossiers jour avec une expertise de qualité égale, même au sein d’un plateau technique gigantesque. Le nombre de site peut baisser, le nombre de dossier reste le même et derrière chaque dossier et oui est ce utile de le rappeler…. il y a un patient. Car il est plus facile de se constituer un réseau d’interlocuteurs médicaux identifiables au sein d’une ville qu’au sein d’une région entière et je peine à imaginer comment on renseignera mieux le contexte clinique d’un prélèvement entre centres éloignés de dizaines de kilomètre que dans le laboratoire de proximité tel qu’il existe aujourd’hui.
On oublie aussi trop souvent que le biologiste a la charge immense de non seulement réaliser des analyses de biologie médicale mais a aussi de multiples casquettes : formateur… techniciens, cliniciens, internes, formation continue (essentielle dans cette discipline et si peu valorisée !) mais aussi gestion administrative et du personnel…
Du fait de la concentration, l’économie sur le personnel, technique comme médicale ne manquera pas de s’opérer, puisque la charge liée au personnel étant la plus lourde, elle est malheureusement trop souvent la variable d’ajustement des bénéfices opérée par les plus grands groupes, au détriment du service rendu comme chacun sait.
En contrepartie, de nouvelles missions et compétences vont émerger. Technicien et ingénieur qualité ISO 15189 surtout mais aussi coursier, visiteur médical, relations clientèles, marketing et tutti quanti !…
Sommes nous vraiment dans le progrès? …
Pendant ce temps, le numerus clausus autorisant un nombre fixe d’étudiant à accéder au diplôme qualifiant pour exercer la profession de biologiste en France a diminué de 30% pour les médecins et de 20% pour les pharmaciens. D’ici 15 ans, la profession se sera féminisée à plus de 50% . La volonté d’exercice à temps partiel pendant une partie de sa vie professionnelle devra être prise en compte dans l’estimation du nombre de biologiste en activité nécessaire sur le territoire.
Dans un contexte où l’on réaffirme puissamment le rôle médical du biologiste (pour peut être mieux détourner l’attention de points plus essentiels comme la nécessité réelle d’ouvrir la profession au grand capital…), le SJBM apprécie la volonté du ministère de ne pas « envoyer dans le mur » une génération de jeunes biologistes mais souhaite que la détermination du nombre nécessaire de biologistes à former se fasse sur des critères objectifs et humains et non purement dans une vision comptable et peut être déjà industrielle du métier de biologiste médical.
Il serait donc prudent de déterminer le nombre minimal de biologiste nécessaire par patient ou par dossier moyen sans se focaliser sur les regroupements de site. Sans quoi, le biologiste deviendra superviseur d’une activité qui lui échappera en grande partie, déléguée par nécessité à des techniciens sans formation médicale supérieure. Il conservera en outre toute la responsabilité de tous les actes effectués.
Il est par ailleurs fondamental de préserver l’attractivité de notre profession non seulement financière mais aussi dans son intérêt scientifique et éthique. Dans le cas contraire, nous verrions très vite apparaître un desaffect majeur et croissant pour notre discipline ainsi qu’un nivellement pas le bas qui serait désastreux aussi bien en terme de santé publique que d’objectif manqué pour la loi HPST, plaçant le patient au centre de sa mission de réforme.
Sacrifier les jeunes professionnels de santé, un enjeu d'avenir?