J'ai régulièrement des échanges, des discussions plus ou moins vives avec mes proches sur l'actualité, et mon angle sauvagement libéral occasionne plus souvent qu'à son tour des débats qui pourraient virer à l'aigre si le bon goût, la politesse et une bonne dose de patience ou de chocolats ne permettaient d'arrondir les angles. Dernièrement, j'ai donc été fermement (mais gentiment) invité à me pencher sur l'éditorial, daté du 23/02/2009, du premier quotidien de France par le tirage, ce médiocre caca mou journal régional pertinent qu'est Ouest-France. Je ne lis que rarement la presse régionale papier. Ca salit les doigts et ça encombre la tête de passables pleurnicheries. Mais quand c'est demandé gentiment, je m'exécute... Et là, c'est le drame.
L'article en question part donc du Salon de l'Agriculture pour poser une question vaste et complexe sur la nourriture dans le monde, et y torcher une réponse, en 3500 caractères, espaces compris. Jolie performance.
La question posée en début d'article est finalement assez banale : "comment procéder pour nourrir tout le monde ?" et s'appuie bien évidemment sur les "émeutes de la faim" de 2007 et 2008 pour asséner, avec une ferveur bien habituelle, que ces disettes ne sont probablement que le début de pénuries plus graves. Eh oui. C'est comme ça, il faudra vous y faire. Puisqu'on vous le dit, c'est que c'est vrai : les pauvres sont toujours plus pauvres, les riches toujours plus riches, et il y a tous les jours plus de gens qui crèvent de faim. Evidemment, Gapminder, compilation titanesque de données de sources fiables, ne semble pas aller dans ce sens, mais baste, passons.
La question de base est donc "comment nourrir tout le monde" et sous cette question banale - jetée négligemment à la tête d'un lecteur décontracté qui s'achète ce journal surtout pour lire la rubrique nécro ou sport de sa région, ne nous leurrons pas - se cache en fait un des trois ou quatre problèmes les plus importants auxquels l'humanité doit faire face.
Et c'est tout le problème de ces questions complexes, profondes et aux variables multiples lorsqu'elles sont abordées dans ce genre de contexte, sur un espace réduit : on vire vite au n'importe quoi.
Oooh, du caramel !
Ainsi, alors même que les émeutes de la faim sont à peine évoquées, on passe aux projections de population en 2050 (ça nous fait un bond de 41 ans, tout de même) pour se dire que, finalement, on ne va jamais arriver à nourrir tout ces gens. Sans même se pencher sur la solidité des projections de population à 50 ans, on oublie commodément que ces émeutes ont directement été provoquées par un lobbying efficace des écolos qui ont amené l'industrie agroalimentaire à produire du carburant au lieu de nourriture, parce que, comprenez-vous, le bilan carbone d'une tonne de maïs cramé dans un 4x4 est meilleur que pour une tonne de pétrole.
Le paragraphe suivant est à l'avenant : on a commencé sur les chapeaux de roues, on attaque à présent la jante dans un crissement de freins qui nous empêchent d'étudier une solution crédible : Les rendements moyens des céréales n'augmentent plus sur la planète depuis une quinzaine d'années. On est foutus. Refermez les sphincters, remballez, y'a plus d'espoir.
Une fois la panique calmée, on peut noter toutefois quelques petites choses.
Les rendements pourraient certainement augmenter avec des OGM, mais écolos et politiciens catastrophiles n'en veulent pas, ce qui est d'ailleurs dit dans l'article : les technologies intensives sont a bout de souffle, pour noter quelques lignes plus loin que les découvertes génétiques (seront faites) en dehors de l'Europe qui a choisi d'arrêter une bonne partie de ses recherches. En gros, l'arrêt des recherches génétiques constitue peut-être une erreur. Zut et flute.
D'autre part, à rendement constant, on pourrait augmenter les surfaces cultivées (et il y a de la place), mais ... les écolos et les politiciens catastrophiles ... ne veulent pas : ça provoquerait un réchauffement climatique. Peut-être.
Il reste tout de même un gros doute sur l'affirmation initiale : les rendements stagnent, la population augmente : nous devrions donc observer de plus en plus de famines. Or, sur Gapminder toujours, on se rend compte que la surface agricole, effectivement, ne bouge pas des masses, mais que la malnutrition, elle, diminue de façon assez générale ces dernières années. Diable. Nous pipeauterait-on ?
Nous en sommes, en gros, au premier tiers de l'article, et mis à part quelques remarques discutables, on n'avance pas. La suite confirme l'impression : on entrevoit rapidement du Gaïa de combat (les ressources de la mère nature), quelques voeux pieux (agriculture écologiquement intensive) dans lesquels on voit mal exactement ce qui est proposé, et des contraintes auto-choisies (faire pousser sur moins de champs avec moins d'eau etc...), parce que, voyez-vous, c'est comme ça qu'il faudra faire puisqu'on vous le dit enfin bon voyons.
Si l'on ajoute l'appel humide aux subventions agricoles (celles-là mêmes, dans la PAC, qui permettent à nos pauvres petits agriculteurs de faire concurrence aux riches paysans d'Afrique et de les bouter hors de nos marchés, les réduisant ainsi à la faim dont l'auteur, parfaitement cohérent, entend les protéger) , on a balayé, en deux ou trois autres paragraphes, toute la panoplie du protectionniste citoyen festif écolo-conscient.
La solution, en somme, est simple : il va falloir refermer les frontières pour protéger les populations qui ont faim de surplus à très faibles prix (= protectionnisme idiot et exactement à l'opposé de ce qu'on souhaite), généraliser le soutien à la modernisation de l'agriculture (= des sous qu'il faudra bien aller ponctionner quelque part, hein), garantir un niveau de vie minimum des agriculteurs au travers de mécanismes dont l'interventionnisme étatique a le secret, et bien sûr ... une bonne régulation des marchés sans laquelle ce petit article n'aurait pas été complet.
Eh oui.
Finalement, pour "Nourrir ceux qui ont faim", il faut :
- les empêcher d'acheter moins cher
- leur piquer le pognon pour le distribuer aux paysans qui vendent cher
- fonctionnariser les paysans
- réguler les marchés (exemple concret : le blé de l'Ukraine sous le joug soviétique était très bien régulé).
Moi, je dis : chouette. C'est totalement innovant, jamais tenté auparavant, manifestement cohérent, et c'est très probablement super-efficace. Si si.
Un tel dégueuli de caramel bien-pensant, moralisateur à souhait, interventionniste, étatiste et protectionniste, je signe, évidemment.