L’accès au séjour des conjoints de Français a été considérablement durci depuis 2003. La «loi Chevènement » du 11 mai 1998 avait prévu la délivrance de plein droit de la carte « vie privée et familiale » sous la seule condition d’entrée régulière (ancien article 12bis, 4° de l’ordonnance de 1945). La loi « Sarkozy » du 26 novembre 2003 a ajouté l’exigence de communauté de vie depuis le mariage.
Et c’est la loi « Sarkozy II » du 24 juillet 2006 qui est venue exiger la production d’un visa de long séjour pour solliciter cette carte comme conjoint de Français (L.313-11, 4° du CESEDA). Néanmoins le législateur a précisé que ce visa ne peut être refusé qu’en cas de « fraude, d’annulation du mariage ou de menace à l’ordre public.» (L. 211-2-1 du CESEDA).
En pratique cependant, pour le conjoint de Français demandant le visa dans un consulat de son pays d’origine ou de résidence rejoindre son conjoint en France s’assimile déjà souvent à un véritable parcours du combattant.
Seuls les Algériens échappent, pour l’instant, à ces restrictions puisque l’avenant à l’accord franco algérien de 2001 ne pose qu’une condition d’entrée régulière et de communauté de vie.
I. Ces durcissements successifs, ainsi que la loi “Clément” de 2006 sur le contrôle de la validité des mariages, ont produit des effets immédiats. Selon le rapport “Stéfanini” de 2008, le nombre de premières cartes de séjour temporaires “vie privée et familiale” délivrées à des conjoints de Français a diminué régulièrement depuis (49 544 en 2003 ; 47 795 en 2004; 44 727 en 2005; 43 705 en 2006; 38 054 en 2007).
“L’année 2007 enregistre une très forte augmentation après la diminution survenue en 2006; cette évolution s’explique par le changement introduit par la loi du 24 juillet 2006 qui a prévu la délivrance d’un visa de long séjour aux conjoints de Français en lieu et place du visa dit “de court séjour d’établissement”. L’augmentation du nombre de visas de long séjour délivrés à des conjoints de Français est donc le reflet d’un changement de législation et non pas d’une évolution de fond. Elle représente le tiers de la croissance totale du nombre de visas de long séjour. Tableau no I1-5 : L’évolution de la délivrance de visas de long séjour à des conjoints de Françaisentre 2003 et 2007
Visas délivrés à des conjoints de Français
2003 :21 5752004 : 24 310 + 12,7 %
2005 : 25 899 + 6,5 %
2006 : 22 785 – 12,0 %
2007 : 29 635 + 30,1 %”.
Dans ce rapport du comité interministériel de contrôle de l’immigration, le ministère de l’Immigration ne cache donc pas sa fierté d’avoir réussi à compliquer la vie des conjoints de Français. Il se targue en effet de l’augmentation du nombre de visa de long séjour “conjoints de Français” : les conjoints de Français s’ils n’ont pas une entrée irrégulière et 6 mois de vie commune en France avec le conjoint français doivent retourner dans leur pays d’origine pour solliciter ce visa de long séjour. Et même s’ils remplissent les conditions pour faire la demande de visa à la préfecture, les refus d’enregistrement ne sont pas rares et la procédure est longue car la demande de visa est transmise par la préfecture au consulat du pas d’origine pour instruction de la demande et prise de la décision d’octroi du visa qui ne peut pourtant - lui-aussi - être refusé qu’en cas de « fraude, d’annulation du mariage ou de menace à l’ordre public.» (L. 211-2-1 du CESEDA).
Pouvait-on inventer procédure plus absurde?
C’est d’ailleurs cet afflux de contentieux des visas de conjoints de Français qui a décidé le Conseil d’Etat, dans le cadre de l’actuelle réforme de la justice administrative, de proposer de transférer la compétence en matière de contentieux des visas du Conseil d’Etat au Tribunal administratif de Nantes.
Mais, l’imagination pour entraver l’immigration familiale étant sans limite, on peut d’ores et déjà prévoir que cette situation va s’empirer.
II. La loi “Hortefeux” du 20 novembre 2007 est venue en effet modifier de la façon suivante l’article du Code des étrangers sur les conjoints de Français:
Modifié par Loi n°2007-1631 du 20 novembre 2007 - art. 10 JORF 21 novembre 2007
“La demande d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois donne lieu à la délivrance par les autorités diplomatiques et consulaires d’un récépissé indiquant la date du dépôt de la demande.
Sous réserve des conventions internationales, pour lui permettre de préparer son intégration républicaine dans la société française, le conjoint de Français âgé de moins de soixante-cinq ans bénéficie, dans le pays où il sollicite le visa, d’une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République. Si cette évaluation en établit le besoin, les autorités mentionnées au premier alinéa organisent à l’intention de l’intéressé, dans le pays où il sollicite le visa, une formation dont la durée ne peut excéder deux mois, au terme de laquelle il fait l’objet d’une nouvelle évaluation de sa connaissance de la langue et des valeurs de la République. La délivrance du visa est subordonnée à la production d’une attestation de suivi de cette formation. Cette attestation est délivrée immédiatement à l’issue de la formation. Un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions d’application de ces dispositions, notamment le délai maximum dans lequel l’évaluation et la formation doivent être proposées, le contenu de l’évaluation et de la formation, le nombre d’heures minimum que la formation doit compter ainsi que les motifs légitimes pour lesquels l’étranger peut en être dispensé.
Lorsque la demande de visa émane d’un étranger dont le conjoint de nationalité française établi hors de France souhaite établir sa résidence habituelle en France pour des raisons professionnelles, les dispositions du deuxième alinéa ne sont pas applicables, sauf si le mariage a été célébré à l’étranger par une autorité étrangère et n’a pas fait l’objet d’une transcription.
Outre le cas mentionné au deuxième alinéa, le visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois ne peut être refusé à un conjoint de Français qu’en cas de fraude, d’annulation du mariage ou de menace à l’ordre public.
Les autorités diplomatiques et consulaires sont tenues de statuer sur la demande de visa de long séjour formée par le conjoint de Français dans les meilleurs délais.
Lorsque la demande de visa de long séjour émane d’un étranger entré régulièrement en France, marié en France avec un ressortissant de nationalité française et que le demandeur séjourne en France depuis plus de six mois avec son conjoint, la demande de visa de long séjour est présentée à l’autorité administrative compétente pour la délivrance d’un titre de séjour.
Dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat, par dérogation à l’article L. 311-1, le visa délivré pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois au conjoint d’un ressortissant français donne à son titulaire les droits attachés à la carte de séjour temporaire prévue au 4° de l’article L. 313-11 pour une durée d’un an”.
Le décret en Conseil d’Etat est paru. Il s’agit du décret n° 2008-1115 du 30 octobre 2008 relatif à la préparation de l’intégration en France des étrangers souhaitant s’y installer durablement.
Il fixe les nouvelles formalités pour solliciter un visa de long séjour pour les conjoints de Français de moins de 65 ans, prévues au L211-2-1 du CESEDA).
Selon une circulaire du 30 janvier 2009 , le nouveau dispositif, qui est préalable à l’instruction de la demande de visa, est applicable aux demandes de visa déposées depuis le 1er décembre 2009 dans les pays où l’ANAEM dispose d’une représentation (Turquie, Maroc, Mali, Tunisie, Sénégal, Canada).
L’article R. 211-4-2 du CESEDA, issu du décret du 30 octobre 2008, a précisé que dès qu’ils sont saisis d’une demande de visa par un conjoint de Français, les consulats « sursoient à statuer » à la demande pendant la période nécessaire à l’accomplissement des opérations d’évaluation des connaissances et, en cas de besoin, de formation.
Le même article précise, de manière incohérente par rapport au dispositif à l’usine à gaz mise en place que la suspension de ce délai « ne peut excéder six mois » et expire à la date soit de la délivrance de l’attestation de suivi de la formation, soit de la décision de dispense de formation.
Pourtant, si on ajoute l’ensemble des délais prévus par le CESEDA pour ces différentes opérations, le délai de suspension de 6 mois pourra facilement être dépassé.
Et, après ce délai, il faut encore attendre 2 mois pour contester la décision implicite de rejet de demande de visa.
Seule consolation: le résultat au test et tout retard pris par l’ANAEM ou son délégataire pour organiser les tests et formations ne sont pas des motifs de refus de visa valables.
Si la demande de visa est rejetée expressément ou implicitement, le conjoint de Français devra saisirla Commission de recours contre les refus de visa d’entrée en France (CRRèVE) - qui met plus d’un an pour répondre et rejeter la quasi-totalité des recours.
Dès lors, il est conseillé dès réception du récépissé cette Commission, de saisir immédiatement le Conseil d’Etat d’unréféré suspension.
Une audience est alors fixée dans le mois qui suit et, si le dossier est bien monté les chances de succès sont importantes pour les conjoints de Français.
Dans le cadre d’un recours contre ce décret la Cimade (Sarah Bélaisch, Cécile Poletti), le Gisti (moi-même, Claire Rodier) et les Amoureux au ban public (Nicolas Ferran) ont essayé de reconstituer la nouvelle procédure nouveau parcours d’obstacles pour solliciter ce visa de long séjour pour qu’un étranger puisse venir vivre en famille avec son conjoint de nationalité française.
Je vous laisse le découvrir!
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- le conjoint de Français se trouvant dans son pays d’origine doit faire la queue au consulat, obtenir un formlaire de demande de visa de long séjour, attendre plusieurs semaines ou mois avant d’avoir un rendez-vous pour déposer le dossier. Il n’est pas dispensé du test d’évaluation de ses connaissances de la langue française et des valeurs de la République et doit donc, selon le dispositif décrit à l’article 4 du décret d’octobre 2008:
- passer un test d’évaluation organisé dans 6 pays par l’ANAEM [qui va bientôt devenir l’OFII, ] ou un organisme délégataire dans les autres dans les soixante jours qui suivent la délivrance du récépissé de demande de visa prévu à l’article L. 211-2-1 du CESEDA (art. R. 311-30-11) ;
- les résultats de l’évaluation sont communiqués à l’étranger et à l’autorité diplomatique ou consulaire dans les huit jours par l’ANAEM (R. 311-30-2) ;
- si les résultats font apparaître un degré de connaissance insuffisant, soit dans le domaine des valeurs de la République soit dans celui de la langue française, la formation que doit suivre l’étranger, prévue à l’art. L. 411-8 du Ceseda, doit débuter dans un délai maximum de deux mois après la notification de ces résultats (R. 311-30-4).
- La formation est dispensée pendant une durée ne pouvant pas excéder deux mois (article L.211-2-1 du CESEDA) ; elle donne lieu à la délivrance “sans délai” (R. 311-30-7) d’une attestation de suivi ;
- A l’issue de la ou des formations, une nouvelle évaluation des connaissances est organisée dans les mêmes conditions que la première : c’est-à-dire dans les soixante jours (R. 311-30-8) , auxquels il faut ajouter les huit jours prévus pour la communication à l’intéressé des résultats de cette seconde évaluation (R. 311-30-2 in fine ).
- Après le délai de 6 mois, la période de suspension de l’instruction prend fin. Si le consulat ne répond pas dans les deux mois la demande de visa doit être considéré comme rejeté.
6 mois : « La suspension de l’instruction de la demande de visa ne peut pas excéder une période de six mois » (art. R211-4-2)
Reprise instruction demande de visa - 2 mois = rejet implicite
2 mois(art. R.311-30-2)
8 jours(art. R.311-30-2)
2 mois(art. R. 311-30-4)
2 mois(art. L. 211-2-1)
« sans délai »(art. R. 311-30-7)
2 mois (pas de délai)
« sans délai »
Attestation dépôt demande de visa
Evaluation connaissance du du français et des valeurs de la République
Résultats de l’évaluation
Début de la formation
Déroulement de la formation
Attestation de suivi de la formation
Nouvelle évaluation
Résultats de la nouvelle évaluation
Ainsi, la durée des procédures d’évaluation et de formation pourrait être de :
- deux mois pour l’organisation du premier test d’évaluation,
- deux mois pour l’organisation de la ou des formations,
- deux mois pour la réalisation de la ou des formations,
- huit jours de la communication des résultats du premier test,
- deux mois pour l’organisation du second test d’évaluation,
- huit jours pour la communication des résultats du second test,
- sans compter la période désignée sans plus de précision comme “sans délai” pour la délivrance de l’attestation de suivi.
Comme pour les postulants au regroupement familial, les conjoints de Français peuvent être soumis à une procédure d’évaluation et de formation dont la durée totale peut aller jusqu’à au moins huit mois et seize jours.
Le plus absurde est que l’Etat organise à sa charge ces tests et formations pour des personnes dont on n’est même pas certain qu’à l’issue de l’ensemble de la procédure elles obtiendront le visa.
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On imagine d’ores et déjà les effets sociaux dévastateurs de l’instauration d’une telle procédure et les vies brisées.
On imagine aussi l’explosion du contentieux des visas de conjoints de Français que va susciter cette procédure et ce à tous les stades de la procédure (refus de dispense, soumission à un second test et une seconde formation, refus de visa, etc.)