Lorsque l’on a la chance d’avoir des amis à Cordon, petit village accroché à la montagne, à 900 m d’altitude, surnommé -et pour cause- « le balcon du Mont-Blanc », au dessus de Sallanches, l’on ne peut décemment refuser de commencer l’année en si bonne compagnie ! Et plus encore, si l’on a la chance de connaitre et d’apprécier les vins somptueux et d’une minéralité sans faille, il va sans dire, du Domaine Belluard, à Ayze, petit village de la vallée de l’Arve flanqué sur les contreforts Alpins,à 35 mn en voiture de Cordon, l’on ne peut envisager de ne pas y passer une journée en compagnie de Dominique, arpenteur infatigable dans ses vignes, comme dans son chai, qui de génération en génération a su préserver son intégrité viticole comme sa jovialité savoyarde très conviviale, (et ce n’est ce pas Mr Belluard senior qui me contredira!).
Ainsi donc, en cette superbe matinée du mercredi 14 janvier 2009, vers -6°c, je partais de Cordon en direction d’Ayze, et je décidais devant le paysage blanc et gelé, d’emprunter la départementale au lieu de l’autoroute. Plus je descendais et m’enfonçais dans la vallée, plus le relief s’escarpait, redessinant en détail la moindre branche, ciselant comme une lame l’herbe infime parsemant champs et prés, bosquets et bouchures, vergers et vignes aussi, bien sûr…La suite pour orchestre N°3 de J.S. Bach : II air, s’amplifiait harmonieusement, surgissant du silence absorbé par la neige au-delà des vitres de la voiture, car pas un oiseau, pas un chien ni même un chat ne se profilaient à l’horizon glacé et uniformément blanc, comme si l’ontraversait un paysage de cristal ! Seules les voitures venaient parasiter ce tableau immaculé. Et il y en avait ! Cependant, si l’on s’arrêtait un instant et que l’on portait son regard au loin, cherchant à se focaliser sur une forme, tous les blancs se concentraient en un point mimétique, réalisant pendant quelques secondes un « fondu au blanc » surréaliste où le Temps et l’espace se confondent et s’éclipsent en une image quasi abstraite ! L’impression esquissée proche de l’absolue perfection ?! Une perfection recherchée par tous les artistes et artisans qui se respectent, vignerons y compris !
En arrivant au domaine, je m’aperçus qu’il n’y avait personne au dehors. Je descendais et prenais alors le temps d’observer les vignes alentours. Des vignes hivernales, introspectives, taillées court et cristallisées jusque dans leurs moindres ramifications… Elles ressemblaient à des myriades de phasmes aux antennes redressées et géométriquement anarchiques, alignées sur d’innombrables rangs, côte à côte, « ceps by ceps », égrainant le Temps. Ce qui frappe avant tout, lorsque l’on se prend à les dévisager, c’est le socle qui les retient, et qui se révèle entier, dense et dont on peut mesurer les disparités géologiques comme l’homogénéité en un regard panoptique (molasses argilo calcaire et/ou éboulis des glaciers). Ce sera encore plus vrai lorsque nous irons avec Dominique vers « Le Feu », ce terroir unique, à mi-coteaux, orienté sud-est et dont la terre, saisie par la clarté environnante, miroitera intensivement, dévoilant ses « caractères » minéralogiques (couleur brun/rouge des argiles très compactées, riches en bauxite et en alumine de fer).
Peut être est-ce dans cet espace et cette atmosphère alpestres particulièrement pures, que Dominique a toujours connus et qui l’ont en quelque sorte modelé, qu’il faut chercher le lien avec la tension subtilement minérale de ses vins et cette recherche, incessante chez lui, de pureté, d’incision, de transparence qui l’accompagne jusque dans la dégustation et la découverte de vins d’autres régions, chez d’autres vignerons ? Peut être est-ce aussi dans le soin méticuleux apporté à ses vignes grâce à la culture biodynamique, à ses modes ajustées des techniques de vinifications adaptées, à son expérience et ses « conversations gustatives » avec le Gringet, qu’il faut comprendre sa démarche comme ses attentes envers le vin ?
Ainsi l’une de ses premières décisions fut d’arrêter d’élever ses cuvées en fût, car il constata que le bois n’apportait rien de bénéfique au Gringet, et que celui-ci ne révélait toutes ses qualités organoleptiques et sa singulière identité qu’une fois libéré de sa cuve et mis en bouteilles ! Mais il y a cuve et cuve ! Les « classiques » cuves en inox vont ainsi progressivement laisser la place à celles en béton, et pas n’importe quelle cuve…c’est L’autre grande décision, de Dominique : prendre le pari des cuves en béton de forme ovoïde afin d’extraire un maximum de fruit et d’affiner la structure minérale du vin. Le béton étant plus neutre que l’inox ou que la fibre et la résine ! J’ai pu m’en rendre compte en dégustant une cuvée « Le Feu » 2006 élevée à 100% en cuve béton. Une densité et une pureté proche du cristal de roche et qui plairait énormément à Alphonse Mellot junior !
Alors que toutes ces questions altéraient progressivement ma concentration sur les photographies que je tentais d’extirper à notre Mère Nature, des bruits de marteau m’incitèrent à entrer dans l’immense hangar qui se trouvait à proximité. A l’intérieur, Dominique était en train de construire des réceptacles pour ses préparât biodynamiques 500 et 501. Il m’expliquât qu’il remplissait les parois de sphaigne, une plante vivace qui produit de la tourbe dont les propriétés isolantes étaient reconnues. Ensuite nous sommes allés dans les vignes, puis dans le chai où le glouglou continu indiquait à nos oreilles que les fermentations de la vendange 2008 suivaient leur cycle. Quelques ponctions des futurs nectars sur les cuves démontraient les infimes et parfois flagrantes différences entre les breuvages, car chaque cuve à son propre départ en fermentation. En écoutant Dominique me parler de ses vins en devenir, je remarquai qu’il savait exactement quel type de vin il recherchait…inlassablement ! Actuellement, il affine au fur et à mesure les moyens pour y parvenir ! Mais ce n’était qu’une question de temps ! Les vignerons sont à leur manière des sabliers vivants et changeants. Ils ne connaissent pas qu’un seul temps d’ailleurs, car ils en épuisent et en mesurent plusieurs ; ceux qui composent les saisons de la vigne et d’autres qui s’étirent en un espace confiné : le chai. Sans compter celui qui suspend l’attente une fois le vin mis en bouteille…mais c’est encore le vigneron qui, dégustant régulièrement ses cuvées, sera le mieux placé pour nous renseigner sur le plaisir gustatif des vins à ouvrir!
C’est encore lui, par le langage, les expressions qu’il utilise, et son regard aiguisé sur le moindre détail de ses parcelles, qui nous renseignera tacitement sur son engagement présent et futur, et ce avec plus de certitude que tous les cahiers des charges et autres agréments des différents labels qui apparaissent généralement aux yeux de tous comme les garants indéfectibles de ce qu’ils défendent…mais le vigneron, présent 24h sur 24, n’est-il pas le seul sur lequel il faille compter in fine ??
Et l’on en revient au temps qui passe …inlassablement. Celui du souvenir de cette journée, qui fila trop vite, comme toujours, malgré un petit tour au « Sarto » avec Monsieur Belluard senior, afin de ponctuer le « tout venant » de belle manière,et celui du temps de l’écriture qui n’en finirait pas si je ne choisissais d’y mettre un terme…provisoirement ! Le temps de me verser un verre de Coteaux du Languedoc, vaste programme me direz-vous, mais celui-ci provient des Grandes Costes, dont je vous parlerai bientôt.
En attendant je vous conseille de déguster les vins du Domaine Belluard. C’est comme si vous goutiez l’air vivifiant des Alpes parfumé des senteurs des fleurs et des fruits croquant le sol qui les supportent ! Alpestre !
Christophe Guitard
En plus:
l'album photo de la visite de Christophe au Domaine Belluard
Petite discussion entre Christophe et Dominique à l'occasion d'une dégustation parisienne en décembre dernier