La force d’attraction otanienne

Publié le 28 février 2009 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

À son soixantième anniversaire, on aurait pu croire l'OTAN parvenue à l'âge de la retraite, d'autant que les causes qui l'ont fait naître ont disparu avec la fin de l'ordre mondial de la guerre froide. Loin de là, elle va fêter cet anniversaire au mois d'avril prochain en manifestant une nouvelle jeunesse et en tentant de démontrer son caractère indispensable. À Strasbourg, où se dérouleront les cérémonies, la France saisira sans doute cette occasion pour annoncer son retour dans les structures militaires de l'organisation de sécurité occidentale.

Cette réintégration, plus de quarante ans après la prise de distance par le général de Gaulle, avec un système que le président français jugeait alors monovalent et exclusif, s'inscrit dans une logique qui est d'abord celle de l'évolution de notre appareil de défense, dans la continuité du livre blanc de 2008 : elle formalise le passage d'un système de défense nationale à une contribution dans un système de sécurité internationale.


Ce faisant, la réintégration de la France dans l'OTAN révèle les difficultés de notre République à maintenir un appareil de défense autonome. Faute de ressources budgétaires suffisantes, la dégradation du système de forces était apparente et le seuil au-dessous duquel un tel système n'est plus viable était en passe d'être atteint. Rejoindre les rangs otaniens est ainsi un double aveu : de faiblesse concernant les capacités nationales à demeurer autonomes, d'impuissance s'agissant des perspectives d'une future défense européenne. La pression exercée depuis des années par les Anglo-Américains a fini par avoir raison à la fois de la résistance française et des projets européens en la matière. Il faut ajouter à cela que l'industrie française d'armement - quatrième du monde - ne doit pas être mécontente de ce rapprochement qui, dans ces temps difficiles de crise, va lui ouvrir le plus grand marché d'armement du monde. Enfin, argument non négligeable, ce geste politique permet de se mettre en accord avec les réalités opérationnelles, la France participant au premier rang aux engagements de l'OTAN, dans les Balkans comme en Afghanistan.

Cela dit, et pour logique qu'elle puisse paraître, cette démarche pose en réalité plus de questions qu'elle n'en résout. On pourrait s'attarder pour les discuter sur certains des attendus de ce constat, notamment sur la validité de la stratégie adoptée dans le conflit en Afghanistan, mais il semble bien que l'essentiel du débat se situe à un autre niveau, celui des équilibres stratégiques du monde de demain. La réintégration de la France dans l'OTAN ne va-t-elle pas à contre-courant de l'histoire ? Au moment où une crise sans précédent dans les temps modernes nous incite à tourner la page d'un monde révolu, est-il opportun d'en ranimer les symboles ? On sait bien que la crise n'est pas seulement financière et économique, qu'elle est le symptôme d'un changement d'époque, dû en grande partie au bouleversement que provoque l'émergence de nouveaux acteurs non occidentaux, asiatiques en particulier. La redistribution en cours des cartes stratégiques devrait faire réfléchir à la nécessité de composer les futurs équilibres du monde, et donc de nouveaux ensembles.

L'OTAN, dans sa définition initiale il y a soixante ans, cristallisait autour des États-Unis la volonté de constituer un « camp occidental » - celui des démocraties libérales - par opposition au « camp oriental », représenté par l'Union soviétique et ses satellites communistes. Ce bipolarisme, dans lequel le général de Gaulle refusait de se laisser entraîner, n'a plus lieu d'être, la guerre froide est achevée depuis vingt ans. Un renouveau de l'OTAN - qui serait alors pour la France une raison majeure de réintégration - ne pourrait se trouver justifié que par l'apparition d'un adversaire idéologique et/ou économique d'une telle puissance, et donc d'une telle menace, qu'il nécessiterait que se reconstitue face à lui un « camp occidental ».

La question de l'islamisme radical ne peut être écartée d'un revers de main, mais il paraît toutefois assez clair que c'est du côté asiatique que doivent se tourner nos regards stratégiques. En effet, quelles que soient par ailleurs ses difficultés intérieures, la Chine possède les atouts pour sortir gagnante de cette crise et se poser dans les années à venir comme le seul rival sérieux du leadership exercé par les États-Unis sur le monde. On peut déjà mesurer, derrière les discours de connivence et l'entrelacs économique dans lequel les deux partenaires se sont mutuellement piégés, à quel point les systèmes politiques et idéologiques chinois et américain sont naturellement incompatibles et résolument antagonistes. Si on peut entrevoir une menace probable sur la paix du monde à un horizon d'une vingtaine d'années, c'est bien de la rivalité sino-américaine qu'elle doit provenir. Dans cette hypothèse, l'Amérique a tout intérêt à compter ses alliés et à rassembler son camp. La pression exercée sur les pays européens, la gesticulation entreprise contre la Russie et l'Iran avec les projets de défense antimissile ne sont compréhensibles que dans la perspective de la préparation d'un conflit contre la Chine.

Est-ce l'intérêt de la France, est-ce l'intérêt des Européens de se laisser embringuer dans ce qui serait une folle entreprise ? La question mérite au moins d'être posée. Sommes-nous destinés à rendre crédible un choc entre un soi-disant Occident et la future nouvelle puissance chinoise ? Aurions-nous raison de nous trouver par principe et systématiquement du côté d'un Occident qui ne représente plus la civilisation européenne mais pour l'essentiel la vision du monde et les seuls intérêts de la puissance dominante ? Ne devrions-nous pas, au contraire, prendre ou maintenir nos distances avec un système qui, loin d'assurer la sécurité, tend sur un mode archaïque à diviser le monde en camps irréductibles et opposés, préparant ainsi les guerres de demain ? L'Europe, et la défense européenne que nous ne parvenons plus à faire avancer dans cette voie, devrait avoir pour vocation de se constituer comme un pôle d'équilibre entre les deux grands du XXIe siècle - le troisième pied du tabouret -, et non comme vassal de l'un des protagonistes.

Nous sommes entrés en 2008 dans la pire crise des temps modernes. Le monde entier s'accorde à dire que, de cette crise globale, aucun pays ne se sortira seul, que nous sommes condamnés à être solidaires et à payer ainsi le prix de la mondialisation. Est-ce que rentrer dans une alliance partisane, porte-drapeau du camp occidental dont la doctrine est sinon en faillite, du moins subit un grave revers, est compatible avec cette nécessité de la solidarité mondiale ? Sachant en outre que ce sont les leaders de ce camp - Américains et Anglais - qui se sont fourvoyés dans des guerres impossibles en Asie du Sud-Ouest et qui ont été les provocateurs de la débâcle financière qui risque de conduire l'humanité aux abîmes. La crise est certes une opportunité pour faire avancer l'histoire, mais en l'occurrence et s'agissant de l'OTAN elle devrait être aussi une occasion de réfléchir à la redistribution inéluctable des cartes stratégiques.

Général de division (2S) Eric de la Maisonneuve

  • Créateur (1999) et directeur de la revue Agir, revue générale de stratégie.